Depuis le début de l’année 2020, les constructeurs sont tenus d’atteindre des niveaux élevés de réduction des émissions de CO2 sur les ventes de véhicules neufs au sein de l’UE. Alors que les résultats 2020 et que les stratégies des constructeurs sont rendus publics, de quels leviers disposent-ils pour atteindre ces objectifs ?


L’évolution de la règlementation oblige les constructeurs à réduire les émissions de CO2 des ventes de véhicules neufs

L’année 2020 a marqué l’entrée en vigueur des nouvelles normes pour les constructeurs automobiles dans un contexte de prise de conscience croissante sur la nécessité de réduire l’empreinte carbone, en réponse aux enjeux climatiques. Les contraintes règlementaires votées par l’Union Européenne sont devenues plus sévères et définissent un seuil d’émission exigeant. Les normes CAFE annoncées sont devenues réalité et le respect de la réglementation ne peut se faire que par le décollage des ventes de véhicules propres.

En cas de dépassement, les constructeurs automobiles risquent d’être fortement impactés sur le plan financier, avec des amendes pouvant atteindre plusieurs centaines de millions d’euros (95€ par voiture immatriculée et par gramme de CO2 émis au-dessus du seuil). Il existe également un risque sur le plan de l’image, aujourd’hui cruciale sur les questions d’empreinte carbone. Des objectifs différents ont été fixés pour chaque constructeur afin de prendre en compte la diversité des gammes.

Pour atteindre la cible, certains constructeurs ont choisi de s’allier en pool. Une stratégie gagnante pour PSA-Opel et Toyota-Mazda, mais qui n’a en revanche pas suffit pour le pool FCA-Honda qui a pourtant acheté des crédits CO2 à Tesla. Tandis que Renault a confirmé en début d’année l’atteinte des objectifs 2020, le Groupe Volkswagen n’y est pour sa part pas parvenu et annonce déjà des difficultés pour atteindre les objectifs 2021.

A moyen et long terme, l’enjeu est de concevoir, produire et commercialiser des véhicules moins polluants tout en maintenant le niveau de profitabilité. Cet effort passera par une amélioration de la performance des véhicules thermiques et par le développement de nouveaux véhicules « propres ». Cependant, des premières réponses peuvent déjà être apportées à court terme. Les constructeurs doivent donc relever les enjeux liés : au pilotage des objectifs CO2, à l’adaptation de leur politique commerciale et enfin à l’accompagnement de leur réseau de distribution. Un beau challenge pour des organisations complexes dont l’équilibre repose principalement sur une répartition des rôles entre des équipes centrales en charge de la stratégie et du pilotage, et des filiales commerciales au plus près du marché qui s’appuient sur leur réseau de distribution pour atteindre leurs objectifs de vente.

Adapter et renforcer la gouvernance pour se mettre en ordre de marche et maintenir le cap ?

L’évolution de la règlementation nécessite une adaptation des dispositifs de pilotage. L’objectif est d’assurer un pilotage des émissions de CO2 en amont pour atteindre un mix de vente de véhicules neufs optimal au regard des émissions. La complexité réside notamment dans la capacité à réduire les émissions, tout en atteignant les objectifs de volume et de marge qui permettent de maintenir la profitabilité économique. Une mobilisation au plus haut niveau est alors essentielle pour effectuer les arbitrages nécessaires au fil de l’eau.

Les constructeurs doivent définir des objectifs par pays, sur un marché européen se caractérisant aujourd’hui par la juxtaposition de marchés automobiles bien différents. Ces disparités induisent des mix de vente très hétérogènes et des flottes dont l’âge moyen et la composition varient fortement. La politique des constructeurs doit donc être guidée par des études fines sur chaque pays et adaptée en fonction des spécificités avec la même ambition d’atteinte de l’objectif.

Le pilotage de la performance doit également assurer une réelle transversalité à l’échelle Européenne. Malgré l’identification d’objectifs par pays, l’organisation retenue devra assurer la flexibilité indispensable entre ces pays. Il est plus que jamais nécessaire d’organiser un pilotage garantissant une forte agilité des politiques commerciales entre-elles, les marchés n’ayant pas tous le même potentiel. De fait, cette évolution réglementaire intensifiera la nécessité d’une animation forte de cette transversalité pour partager les difficultés et les bonnes pratiques entre les pays.

Faire évoluer la politique marketing et commerciale pour atteindre un mix de vente optimal

La politique commerciale doit permettre l’atteinte d’un nouveau mix de vente reposant sur la bonne combinaison entre thermique (essence, diesel et GPL dans une moindre mesure), électrique hybride et électrique chargeable (EV, PHEV). Si le diesel peut jouer un rôle important, le développement des ventes « électriques » représente un levier indispensable puisque ces immatriculations bénéficieront d’une pondération plus importante sur la période 2020 à 2023. Les consommateurs seront également incités à se tourner vers des versions aux équipements à moindre émission (pneumatique, éclairages, accessoires).

Le développement des ventes de véhicules électrifiés passe d’abord par un meilleur ciblage des ventes :

  • Renforcer davantage la connaissance client, pour permettre le ciblage des populations les plus susceptibles d’opter pour des véhicules à faibles grammages, par exemple pour l’acquisition d’un véhicule électrique en complément d’un véhicule familial thermique.
  • Privilégier les segments clients représentant un potentiel de volume important et ayant également un intérêt à s’engager dans la démarche. C’est le cas par exemple des flottes B2B qui représentent 40% des parts de marché pour PSA en France et qui bénéficient d’incitations fiscales à l’électrification. Il s’agit donc de lever les freins des gestionnaires de flottes concernant le manque d’infrastructures ainsi que de les accompagner dans la définition d’un mix optimal thermique / électrique en fonction des usages.
  • Faire levier sur les nouvelles mobilités en adressant les opérateurs tiers ou en développant l’offre de flottes de véhicules partagés dans les grandes agglomérationsEn effet, les offres de mobilité occupent encore une place marginale pour les constructeurs (modèle économique et volume d’activité) mais constituent un levier important pour commercialiser des véhicules propres. D’une part car ils sont plus appropriés à un usage partagé (exemple : pas de gestion du plein de carburant) et d’autre part, car ils permettent de répondre aux préoccupations des agglomérations de réduire leur empreinte carbone.

Enfin, il est nécessaire de renforcer l’attractivité économique des véhicules à plus faible grammage :

  • Mettre en avant le TCO des véhicules électriques, plus avantageux que leur valeur initiale pour atténuer le frein à l’achat en comparaison avec un véhicule thermique et démontrer son intérêt en termes de frais de carburant et d’entretien.
  • Proposer un prix de reprise d’un ancien véhicule plus attractif pour l’acquisition d’un véhicule à faible grammage.
  • Créer et mettre en avant un écosystème de services pour le client, via des partenariats stratégiques qui participeraient à la réduction du prix de revient et qui faciliteraient l’utilisation de ces ZLEV (parking, péages, accès à des bornes de recharge, remboursement des frais de consommation, etc.).

Accompagner le réseau et lancer des actions pour faire monter les concessions en compétences

La politique d’animation du réseau est un levier clef pour assurer l’atteinte des objectifs CO2. Quel que soit le mode de définition des objectifs – atteinte d’une valeur cible en grammage ou d’un volume de vente de véhicules à faibles émissions – les constructeurs devront faire évoluer le mode de rémunération du réseau. Ils devront travailler sur une réallocation des moyens pour inciter à vendre plus de ZLEV (Zero and Low Emission Vehicles) tout en prenant en compte : une enveloppe financière contrainte, l’animation de modèles généralement moins rentables, mais aussi la très forte disparité en termes de potentiel de marché en fonction des zones et des typologies des clients. Pour engager une réelle transformation du réseau, l’animation doit s’adresser à toutes les populations impactées au sein des concessions et pas uniquement les forces de vente (atelier, logistique et préparation, administration, etc.).

La vente de véhicules électrifiés constitue encore une nouveauté pour le réseau de distribution : un effort accru est donc nécessaire pour accompagner la montée en compétences des équipes. Il s’agit dans un premier temps de mener des actions de sensibilisation visant à faire disparaître les résistances face à ce changement tout en redorant l’image de ces véhicules. Il faudra ensuite former le réseau et ce sur l’ensemble de la chaîne de métiers d’une concession (administratif, vente, logistique, atelier, etc.), sur un scope large allant de la maîtrise de l’argumentaire de vente jusqu’à l’adaptation du processus de prise en main du véhicule. Ce changement nécessite l’exploitation des nouvelles technologies de formation pour mettre en œuvre des formats adaptés et former des populations importantes et variées en un laps de temps réduit.

Enfin, il est impératif de déployer au sein du réseau, les infrastructures et les équipements requis. Le format des concessions doit être adapté en incluant des bornes de recharges capables d’assurer la charge de ces véhicules, mais aussi une meilleure réponse aux attentes de clients sur les services après-vente. Des investissements sont à mener pour équiper les ateliers et acquérir les compétences requises et également pour définir un niveau de capillarité optimal pour assurer le bon niveau de proximité de ces ateliers tout en garantissant une rentabilité acceptable du réseau.


Si les constructeurs jouent un rôle clef pour concevoir des gammes de véhicules plus propres et les commercialiser via leur réseau, le décollage des ventes de véhicules électriques passera aussi par la mise en place de mesures visant à rendre ces véhicules plus abordables en mettant à disposition une infrastructure garantissant de meilleures conditions d’utilisation (proximité et facilité d’accès).

La réglementation actuelle relative aux émissions « unitaires » s’inscrit dans une dynamique plus large de réduction de l’impact écologique des véhicules. Le Royaume-Unis a ainsi décidé d’avancer à 2030 l’interdiction de vente des véhicules thermiques (2035 pour les véhicules hybrides). Face à cette accélération des décisions et alors que les transports sont un des premiers postes d’émission de CO2, les constructeurs peuvent se démarquer en saisissant cette opportunité de mutation. Celle-ci doit être accompagnée par une transformation de fond liée à l’évolution des usages qui permettra une réduction des émissions au global tout en adressant les besoins réels de mobilité.