Fermeture de Fessenheim, démantèlement de 14 réacteurs d’ici 2035, l’avenir du nucléaire en France est plus que jamais d’actualité à l’heure où la filière semble perdre peu à peu le soutien de l’opinion publique et d’une partie de la classe politique. Quelle énergie pour alimenter les foyers français de demain ? Quel avenir pour l’atome en France ?


Troisième secteur industriel en termes d’emploi en France derrière l’aéronautique et l’automobile, le nucléaire couvre 70% de la production française d’électricité (environ 380 TWh). Avec ses 56 réacteurs répartis sur 16 sites, la France est l’un des pays les plus nucléarisés au monde

Cette utilisation massive de l’énergie atomique permet non seulement à la France d’afficher une électricité parmi les plus décarbonées d’Europe, mais également d’assurer sa sécurité d’approvisionnement énergétique à des coûts très compétitifs¹ (env. 48/MWh) en raison d’une moindre dépendance aux énergies fossiles et d’une capacité de production d’électricité élevée.   

Tandis que d’autres pays tels que la Chine et la Russie continuent de développer de vastes programmes d’investissement dans l’énergie atomique (la Russie est aujourd’hui le 1er exportateur mondial de centrales nucléaires), celle-ci suscite de vifs débats en France, autour de la fermeture de la centrale de Fessenheim ou du dossier controversé d’enfouissement souterrain de déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse. 

Dans le contexte actuel de transition énergétique, quel est l’avenir du nucléaire en France ?

 

Transition énergétique : objectif 50% de nucléaire en 2035 

Face aux enjeux climatiques, la France semble avoir adopté une stratégie hybride : miser sur un mix entre le nucléaire et le renouvelable se traduisant par l’arrêt anticipé de certaines tranches actuellement en fonctionnement et leur remplacement par les énergies renouvelables.  

Cette stratégie est déclinée dans la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) publiée en novembre 2019 dont l’objectif à moyen et long terme est la réduction de la part des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables² (la France projette de réduire à 50% la part de nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2035) 

Cette démarche a d’ores et déjà été enclenchée par la fermeture de la centrale de Fessenheim le 30 juin 2020, l’objectif à long terme du gouvernement étant la fermeture de 14 réacteurs. 

Acclamée par les écologistes, décriée par les pronucléairesla fermeture de Fessenheim met en lumière les désaccords concernant l’énergie atomique et l’écologie. Pour le moment, les projets de remplacement de la centrale de Fessenheim restent encore flous³. Dans un premier temps, et dans l’attente de la création de projets d’aménagement et du développement des énergies renouvelables, pour éviter les ruptures d’approvisionnement le Grand Est pourrait être en partie alimenté en énergie par ses centrales à charbon (habituellement en inactivité) et par l’importation d’énergie de ses voisins européens. Sachant que la fermeture de la centrale de Fessenheim nécessitera de compenser 10 à 12 TWh rejetant 6gCO2/KWh, et que le mix électrique européen est aujourd’hui à environ 350gCO2/KWh, l’utilisation d’énergie importée impliquerait une émission de 4,2 millions de tonnes de CO2 par an (12.000.000*0,35) contre 72 000 tonnes de CO2 par an avec l’utilisation du nucléaire 

Pour la France, l’enjeu premier pour atteindre ce mix énergétique est de remplacer les capacités de production fournies par une centrale nucléaire par le renouvelable, tout en évitant d’avoir recours massivement aux centrales à gaz ou au fuel, ce qui serait un nonsens au vu de l’objectif écologique poursuivi dans le cadre de la transition énergétiqueCette réussite dépendra alors de l’évolution de la demande, des performances techniques et économiques des différentes technologies (énergies renouvelables, stockage, « smart grids ») ainsi que des stratégies énergétiques de ses voisins européens.  

Quels seront les impacts de la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique ? 

En termes d’émissions de CO2, il n’y aura pas d’impact positif majeur puisque les ENR rejettent plus de CO2 que le nucléaireEn réalitél’effet inverse pourrait même se produire puisqu’à court terme le doublement des capacités de production d’éolienne et de photovoltaïque va nécessiter la construction d’infrastructures et le raccordement au réseau, impliquant la consommation de ressources supplémentaires polluantes.

  

Si nous avons une bonne vision des coûts du nucléaire, Il est en revanche difficile de mesurer les coûts inhérents à l’augmentation de la part du renouvelable. Ce que l’on peut affirmer avec certitude, c’est qu’en raison de l’intermittence de leur production d’énergie, les ENR nécessitent un surdimensionnement de parc, soit une capacité de production de 4 à 7 fois plus élevées pour produire la même quantité d’électricité qu’une centrale nucléaire.

Cette augmentation de la capacité de production nécessaire entraine un surcoût de coûts de production de 33% par rapport à une centrale thermique classique .

Il est également important de noter que la reconversion des quelques 200 000 emplois liés à la filière de l’énergie atomiqueles pertes liées à l’export et l’augmentation des importations d’éoliennes ou de panneaux solaires auraient un impact financier négatif sur le secteur de l’énergie français 

Grâce au nucléaire, la France est l’un des pays le plus compétitifs en termes de coûts de son électricitécette compétitivité bénéficie à l’ensemble de l’industrie et lutte contre les délocalisations. L’augmentation des coûts systèmes (et donc des prix de revente aux ménages et aux industries) engendrés par l’augmentation de la part des ENR pourraient avoir de lourdes conséquences financières.  

Un avenir incertain en France mais d’énormes débouchés à l’export 

La stratégie d’un mix énergétique basé sur le développement des énergies renouvelables ne semble pas guidée par une logique purement financière et, bien que concourant à la réduction de la production de déchets nucléaires, elle ne permettra pas à la France d’améliorer significativement son bilan environnemental ou son action contre le réchauffement climatique.  

Dès lors, pourquoi vouloir à tout prix réduire la part du nucléaire dans notre mix énergétique ? 

Pour comprendre, il faut prendre en compte les éléments de contextes qui ont menés à cette décision. La PPE s’inscrit dans le cadre de la loi de transition énergétique qui a été votée en 2015, soit 4 ans après la catastrophe de Fukushima. Cette catastrophe a eu fort impact sur l’opinion publique européenne et française, elle a conduit l’Allemagne à ordonner la fermeture de toutes ses centrales d’ici 2022

En outre, le nucléaire n’a pas été inclus dans la liste des technologies bénéficiant de financements privilégiés par la banque européenne d’investissement ainsi que dans la « taxonomie » européenne fixant la liste des technologies labellisées « durables » (projet Green deal » initié en 2019). 

L’avenir de l’énergie atomique en France semble incertain, les investissements futurs étants tournés massivement vers les énergies renouvelables. 

 Toutefoisla décarbonisation des pays du G20 et l’électrification de pays tels que l’Inde ouvre de nouveaux débouchés laissant prédire un avenir très prometteur pour le nucléaire français à l’étranger. Lfilière nucléaire française saura-t-elle saisir ces nouvelles opportunités pour gagner de nouveaux marchés, (notamment avec la construction de petits réacteurs modulaires (les SMR) ?

 

Sources:

¹ Le prix du kWh en France est d’environ 17,5 centimes pour les ménages et 11 centimes pour les industries. En comparaison, en Europe il est en moyenne de 20,5 centimes pour les ménages et 14 centimes pour l’industrie. En Allemagne, le prix s’élève à environ 30 centimes pour les Ménages et 20 centimes pour les industries.

² LA PPE établit les priorités d’action du gouvernement français en matière d’énergie dans les 10 années à venir, il prévoit entre autres « la réduction de 21 % de la consommation primaire d’énergies fossiles en 2023 et de 35 % en 2028 en parallèle d’une augmentation de 40 % des capacités de production d’électricité renouvelable en 2023 et d’un doublement en 2028 ».  

³ Celle-ci produit chaque année 10 à 12 térawattheures, ce qui équivaut à l’énergie fournie par quelques 2800 éoliennes 

 Détail des coûts présentés dans l’étude de l’oecd-nea