Le projet de rachat de Suez par son concurrent Véolia place sous le feu des projecteurs le marché très convoité de la gestion et du traitement de l’eau dans le monde. Quels sont les enjeux de ce secteur au niveau mondial ? Quelsont les coulisses de ce projet de fusion et les enjeux associés ? 

Les enjeux du marché de l’eau dans le monde 

L’accès à l’eau potable est un enjeu majeur, tant pour le développement humain et économique des pays que pour la stabilité politique de nombreuses régions du monde. Si les ressources mondiales en eau douce sont globalement suffisantes, il existe de fortes disparités de répartition de cette eau (30% de la population mondiale est considérée en état de stress hydrique selon l’ONU). La croissance démographique mondiale (principalement dans les pays en développement), l’urbanisation de la population ainsi que l’industrialisation des pays émergents font exploser la consommation d’eau qui, couplée à un réchauffement global, pourrait entrainer des bouleversements environnementaux et sociétaux dramatiques. La diminution importante et continue des réserves d’eau douce provoquée par la fonte accélérée des glaciers himalayens ainsi que l’assèchement de la mer ARAL en Ouzbékistan sont des exemples manifestes des conséquences dévastatrices de l’action de l’homme sur l’environnement.

 

Face à ces bouleversements, de nombreux pays ont pris des engagements politiques nécessitant d’importants investissements pour préserver et faciliter l’accès à l’eau potable (estimés à environ 114 milliards de dollars par an selon l’ONU). Pour les acteurs du secteur, ce contexte laisse entrevoir de belles opportunités commerciales et le marché mondial de l’eau attire de plus en plus les fonds d’investissements privés.  

Pour gagner de nouveaux contrats, notamment dans les pays émergents, les entreprises de gestion de l’eau vont devoir proposer un système qui rende l’eau disponible pour tous à moindre coût tout en préservant l’écosystème environnant. Ces nouveaux enjeux appellent la mise en place d’infrastructures et de technologies innovantes, pour un approvisionnement et un assainissement de l’eau adaptés à l’offre et à la demande locale. Des solutions alternatives existent déjà telles que la réutilisation des eaux usées (exemple du système de recyclage de l’eau en circuit fermé à l’usine Renault-Nissan à Tanger ou de l’usine de potabilisation de Windhoek en Namibie tous deux mis en place par Véolia), ou le dessalement de l’eau de mer dont un quart des usines dans le monde sont actuellement gérées par Véolia et SUEZ (Arabie saoudite, Oman, Qatar, Abu Dhabi, etc.).

Le positionnement français au niveau mondial et le projet de fusion VEOLIA-SUEZ  

Présents dans plus d’une cinquantaine de pays dans le monde, les 2 colosses Véolia et SUEZ dominent aujourd’hui le marché mondial de l’eau. Bien que leaders sur ce marché, ils ne représentent que 3% du chiffre d’affaires mondial (estimé à plus de 600 milliards de dollars en 2019), ce qui s’explique par la spécificité du secteur dominé par une multitude de petits acteurs régionaux (plus de 90% du marché de l’eau reste public).  

Ces 2 multinationales de l’eau sont actuellement au cœur de l’actualité en raison du projet de rachat de SUEZ par Véolia. Cette dernière a acquis en octobre dernier 29,9% des parts de SUEZ initialement détenues par le groupe ENGIE puis a adressé à SUEZ une proposition d’OPA afin de s’emparer des 70% restants du capital de son rival historique. L’objectif de Véolia ? La création d’un super champion français de la transition écologique, largement dominant sur le territoire national, mais également au niveau européen et mondial. Cette fusion serait selon Véolia un atout pour faire face à l’émergence d’une concurrence internationale de plus en plus menaçante, notamment le pékinois Beijing Capital group qui ne cache pas son ambition internationale et a d’ores et déjà racheté l’acteur néozélandais Trans-Pacific Industries.  

Dénonçant une manœuvre hostile anticoncurrentielle et source de menaces sociales pour ses employés (Veolia devrait revendre différentes activités pour répondre aux exigences des lois anti-trust), SUEZ a dans un premier temps décidé de contrer la fusion en plaçant l’activité eau France dans une fondation de droit néerlandais pour en interdire la cession puis a finalement proposé un projet alternatif s’appuyant sur des fonds d’investissement, le français Ardian et l’américain GIP (à défaut de racheter les parts de Véolia ce projet rééquilibrerait les négociations). 

En cas de réussite de cette OPA, Véolia envisage de céder l’activité Suez Eau France au fonds Meridiam en échange d’engagements sur l’emploi et l’investissement. Néanmoins, l’entrée d’Ardian dans les négociations pourrait permettre à SUEZ de conserver cette branche (dont la propriété reviendrait à Ardian).

Si cette bataille entre les 2 géants français fait débat, c’est que les enjeux associés à la fusion et les questions qu’elles posent sont multiples :  

  • Sur le plan internationalil s’agit de créer un super champion de l’innovation. L’effet de taille va-t-il booster cette dernière (plus grandes possibilités d’investissement) ou a contrario tuer la dynamique de R&D par manque d’émulation liée à la concurrence ?  
  • Sur le plan national, la fusion pourrait avoir des effets néfastes pour les collectivités en raison d’un amenuisement de la concurrence et donc une moindre liberté de choix et d’action.  

Le dernier enjeu (largement évoqué par SUEZ) reste celui de l’emploi. 

Dans les métiers opérationnels (techniciens, agents d’exploitation et de maintenance, etc.) déjà en tension de main d’œuvre, le risque d’un plan social massif semble faible. En revanche, il est probable que Suez cherchera à gagner en efficience en supprimant a minima des postes en doublon. Les premiers concernés sont généralement les cadres des fonctions centrales et notamment les membres du comité de direction (PDG, Directeur Administratif et Financier, Directeur des Achats, DRH, ...), plutôt hostiles au projet. 

Même si ce projet de fusion non amical semble inéluctable, il est loin d’être bouclé et pourrait se solder par un échec. Les enjeux liés à l’eau potable dans le monde sont considérables et la création d’un nouveau major français est un projet sensible et déterminant pour la filière française du traitement de l’eau. 

Le groupe de travail du Sénat chargé d’analyser les conséquences de cette fusion étudie de près le dossier pour déterminer si la fusion permettrait à la France d’assoir sa position de leader international ou au contraire conduirait comme l’a prédit Gérard MESTRALLET (ancien PDG dEngie) « à la disparition de Suez, à un endettement peu soutenable de Veolia, à des pertes de capacité d’innovation et à d’inévitables suppressions d’emplois, sans renforcer la compétitivité du groupe Veolia sur les marchés internationaux ». 

De par sa complexité et son caractère politique, nul doute que ce dossier alimentera l’actualité pendant encore plusieurs mois. En parallèle, SAUR, troisième acteur du secteur en France et qui poursuit sa stratégie d’acquisition à l’international pourrait bien tirer son épingle du jeu.