Le déploiement d’énergies renouvelables sur le territoire français implique le développement d’une filière intégrée, qui réunisse des parties prenantes inédites. Cette nouvelle organisation est l’occasion d’innover, aussi bien sur le plan technologique que sur les business models mis en place.

La loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte (LTECV) fixe un objectif de 32% d’énergies renouvelables (EnR) dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2030. En France, les initiatives se multiplient sur le sujet. La décentralisation du réseau et la massification de l’information qui en résulte, ont une incidence sur son fonctionnement. Face à ces évolutions, les acteurs du domaine de l’énergie doivent donc repenser leur business model pour répondre aux enjeux concurrentiels et aux attentes nouvelles des consommateurs.


 

La décentralisation du réseau électrique et l’intermittence de la production changent la donne : quels sont les enjeux du maintien d’une qualité de service élevée ?

Une production décentralisée qui implique la définition d’un nouveau cadre

Le développement des EnR rompt avec la structure traditionnelle des réseaux de transport et de distribution d’énergie français, traditionnellement organisés de manière centralisée. Les points de production se multiplient et se rapprochent du lieu de consommation. L’énergie produite en surplus par ces nouvelles unités de production peut alors être réinjectée. Or le réseau français a été pensé pour accueillir des flux unidirectionnels – de l’unité de production aux consommateurs. Cette proximité des points de production implique de repenser le cadre lié à la fourniture d’électricité. Raccorder ces nouvelles unités de production et penser les conditions d’acheminement dans le cadre de l’autoconsommation sont des points essentiels de cette nouvelle dynamique.

Garantir la sécurité d’approvisionnement dans le cadre d’une production intermittente

Afin d’assurer la stabilité du réseau électrique, il est nécessaire de prendre en compte l’intermittence de la production issue d’EnR. L’ajustement de la production à la demande et le maintien d’une fréquence optimale sur les réseaux de distribution sont essentiels.

La capacité des opérateurs à prédire l’évolution de différents paramètres tels que la production, les pics de consommation ou les bugs éventuels devient primordiale. De même, le développement d’infrastructures et de dispositifs permettant de lisser les pics est au cœur du nouveau réseau électrique. Ainsi, le 10 janvier 2019, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité a demandé à 6 entreprises de diminuer leur consommation via un contrat d’effacement, en vue d’éviter un black-out sur le réseau français.

Des innovations technologiques sont nécessaires pour pallier l’intermittence de la production

Augmenter la capacité de stockage

Le développement de capacités de stockage supplémentaires est la condition sine qua non de la stabilité du réseau, compte tenu de l’intermittence de la production. Le choix d’une solution de stockage est défini en fonction des caractéristiques du réseau, des infrastructures et des évolutions anticipées de la consommation. A court terme, des dispositifs tels que les super-condensateurs ou les volants d’inertie assurent la stabilité de la fréquence sur le réseau électrique. Batteries, STEP ou Power to Gas interviennent alors pour lisser les pics de production : l’énergie est réinjectée lorsque la consommation augmente.

Piloter en temps réel les flux d’énergie

L’ajustement en temps réel de la production et de la consommation est un enjeu-clé. Le pilotage flexible du stockage permet d’organiser les recharges d’équipements au moment où la consommation est la plus faible. La recharge pilotée des véhicules électriques pourrait alors permettre des économies importantes sur les équipements. Des capteurs placés sur les installations permettent aussi de recueillir en temps réel des informations sur les équipements et de les confronter à des données externes telles que les prévisions météorologiques pour piloter le fonctionnement des unités de production. Certaines gares utilisent des outils de pilotage qui permettent de connaitre en temps réel le nombre de voyageurs et d’ajuster la consommation d’énergie des installations en fonction de paramètres variés comme la température extérieure.

Utiliser l’électricité excédentaire pour créer de l’énergie stockable 

Des solutions type Power to Gas offrent des perspectives intéressantes pour stocker et valoriser de l’énergie sur le long terme en parallèle des autres dispositifs. Le gaz produit pourra alors être utilisé localement ou bien être réinjecté au sein du réseau de distribution de gaz. Les réseaux existants permettent en effet d’accueillir 100% du méthane de synthèse produit ainsi qu’une partie de l’hydrogène issu de ce procédé. Si un démonstrateur a été mis en place par GRTgaz en région PACA à Fos-sur-Mer, sans besoin de technologie de rupture, l’utilisation du Power to Gas implique néanmoins une meilleure coordination des acteurs de la filière : électriciens, gaziers et utilisateurs – notamment en ce qui concerne les structures industrielles désireuses d’utiliser de l’hydrogène de synthèse.

Le déploiement d’EnR implique de définir de nouveaux business models

Un marché de plus en plus concurrentiel

Les réseaux type micro-grids permettent, pour les plus performants, un fonctionnement en quasi-autarcie. Le distributeur d’électricité intervient alors en complément, lorsque la demande est trop élevée pour les capacités du micro-grid ou lorsque le stockage est insuffisant. La généralisation des micro-grids les limiterait donc à une intervention sporadique, bien éloignée de leurs attributions initiales.

Les fournisseurs d’électricité font également face à des habitudes de consommation mouvantes et la demande plus forte en offres dites « vertes ». Les business models développés doivent donc évoluer dans ce sens pour fidéliser ou attirer des clients.

Développer une haute qualité de service pour s’imposer sur le marché

Compte tenu de ces éléments, deux stratégies semblent émerger pour les fournisseurs d’énergie. La première, déployée par la quasi-totalité des fournisseurs, consiste à développer une offre « verte » basée sur l’achat de garanties d’origine ou approvisionnée par des capacités en propre de production d’EnR (comme Enercoop ou Energie). L’objectif étant d’être en adéquation avec les préoccupations croissantes de la transition énergétique.

La seconde consiste, pour les fournisseurs d’énergie ayant une taille critique, à développer un ensemble de services pensés en lien avec les évolutions technologiques actuelles (Smart Grids, IoT, Cloud…). Ces derniers déploient des pôles dédiés aux technologies émergentes ainsi que des fonds de Corporate Ventures pour développer une haute qualité de service.

Repenser les business models pour augmenter la rentabilité des dispositifs : l’exemple de l’effacement diffus

Parmi ces services, on peut citer les solutions d’effacement. Pour les particuliers, l’effacement diffus permet, via un boitier, de contrôler à distance la consommation de certains équipements (climatisation, chauffe-eau…). Néanmoins d’après une étude de l’ADEME et du CSTB, le consommateur peut réaliser une économie de seulement 5 à 7,6%. Pour les opérateurs et notamment Voltalis qui s’est positionné sur le marché français, la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Cela s’explique par des coûts de production élevés (production, installation et maintenance du boitier) et par la jeunesse du marché. Les enjeux actuels impliquent à la fois des changements législatifs, qui rendraient l’effacement diffus plus compétitif, et une approche qui soit plus centrée sur l’utilisateur : rémunération et garanties de maintien de confort en cas d’effacement.

 


Afin de maintenir une qualité de service élevée et répondre aux attentes des consommateurs, les fournisseurs d’énergie doivent étendre leurs compétences et leurs domaines d’expertise. L’élargissement des compétences peut passer par la maitrise de la filière dans son ensemble, comme c’est le cas pour Total avec l’achat de Lampiris et de Direct Energie. Il peut aussi s’agir de développer ses expertises à travers une nouvelle gestion prévisionnelle des emplois et carrières (GPEC) pour attirer des talents, former ses collaborateurs à de nouveaux métiers ou encore mettre en place de nouveaux modes de fonctionnement comme les organisations responsabilisantes.

Le marché suit ainsi deux tendances bien distinctes. D’une part, l’émergence d’acteurs de plus en plus polyvalents et d’autre part la parcellisation du réseau électrique. Dans ce contexte, les acteurs doivent définir une stratégie qui intègre les enjeux propres aux EnR, les attentes nouvelles des consommateurs – particuliers et professionnels – ainsi que les investissements qui en découlent .