Les risques…un vaste continent que les acteurs concernés, régulateurs comme acteurs économiques et notamment les banques, continuent d’explorer.

L’objectif : avoir une vue exhaustive au juste niveau, mettre en place des dispositifs de décision, prévention, mise sous contrôle et remédiation sans bloquer l’activité cœur et en rationalisant les investissements. Le stress test grandeur nature de ces derniers mois avec la faillite de SVB et le rachat de Crédit Suisse et la résistance du système sont un 1er résultat positif. Une crise similaire à celle de 2008 ne devrait pas arriver.

SpinPart dresse, en 3 articles, un panorama de la situation, du foisonnement des régulations aux approches et des dispositifs mis en place par les banques.

Épisode 1 – Le foisonnement réglementaire

Face à une économie globalisée, les risques systémiques sont au cœur des préoccupations des régulateurs : toute défaillance locale d’acteur financier pourrait, par contagion, se propager à l’ensemble du système financier. Les comités internationaux comme les régulateurs sont lancés dans une course que les acteurs économiques tentent de suivre en s’adaptant au mieux et de plus en plus vite.  

Le foisonnement de la régulation

La faillite de la banque allemande Herstatt en 1974 fait prendre conscience à la communauté internationale du risque systémique : la cessation d’activité de cette banque de taille pourtant modeste entraine alors la paralysie de l’ensemble du système de paiement interbancaire de New York pendant plusieurs jours. 

Le comité de Bâle est alors créé avec la participation des gouverneurs des banques centrales des pays du G10. Il donnera naissance, 14 ans plus tard, aux accords Bâle I en 1988. 

A l’époque, les accords se concentrent sur la constitution systématique d’un niveau de fonds propres suffisant pour assurer la couverture des besoins de liquidité associés aux crédits distribués. C’est le ratio Cooke.

Depuis 1988, les accords successifs de Bâle, qui s’appuient surtout sur les leçons des crises passées, ont étoffé les domaines de vigilance avec notamment :

  • La prise en compte de l’effet de levier (ratio entre le total des actifs et les fonds propres, permettant de cadrer le niveau d’endettement des banques)
  • La mise en place de ratio de liquidité (ratio visant à assurer une liquidité suffisante des actifs pour faire face aux engagements de la banque liés à son passif)
  • Et la réalisation, au travers de l’EBA en Europe, de stress tests visant à éprouver la résilience du système bancaire.

Si le comité de Bâle est la clé de voute de la règlementation financière internationale, elle reste non contraignante et les normes prudentielles définies ne sont « que » des recommandations à l’usage des acteurs financiers.

Pour garantir leur efficacité, les normes doivent être traduites par les instances législatives des différents pays et leur mise en place supervisées localement. C’est le rôle de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) et de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en France. 

Depuis 2011, en réponse à la crise de 2008, la Communauté Européenne a mis en place le Système Européen de Supervision Financière (ESFS – European System of Financial Supervision) destiné à coordonner ces instances nationales de supervisions.

L’ESFS est composée de 3 autorités européennes de surveillance :

  • Sur le domaine bancaire : l’Autorité Bancaire Européenne (EBA – European Banking Authority)
  • Sur le domaine de l’assurance : l’Autorité Européenne des Assurances et des Pensions Professionnelles (EIOPA – European Insurance and Occupational Pensions Authority)
  • Sur le domaine des marchés financiers : l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (ESMA – European Securities and Market Authority)

A ces autorités s’ajoute le Conseil Européen du Risque Systémique (ESRB – European Systemic Risk Board).

A chaque nouvelle crise, l’écosystème règlementaire financier s’enrichit et se complexifie, amenant les banques à composer avec ces différents cadres règlementaires. Cette multiplicité est un nouveau vecteur de lourdeur et constitue un enjeu fort pour les banques quant à la mise en place d’organisations cohérentes et efficaces pour couvrir leurs risques.

Les limites de la réglementation prudentielle

La réglementation se construit en fonction des crises et des possibilités législatives ou des négociations internationales. Les limites sont donc encore nombreuses et peuvent être rassemblées sous 4 thématiques : 

  1. La vitesse de mise en application: si les accords de Bâle ont permis de donner l’élan nécessaire à la constitution d’un cadre prudentiel stable et exigeant, la lenteur de leur mise en application a souvent enrayé leur capacité à répondre vite et fort à la mutation des marchés financiers et des risques structurels qui les sous-tendent. En cause, la portée juridiquement non contraignante des décisions prises par le Comité de Bâle qui nécessite une transposition dans le droit européen. La tentation est forte de se demander, comme Michel Barnier [1], si la crise de 2007 aurait pu être évitée si l’adoption des accords de Bâle II (2005) s’était faite plus rapidement. Aux origines de la crise financière, la titrisation a laissé les banques transférer le risque « hors bilan » en l’externalisant vers d’autres acteurs ne faisant pas face aux mêmes exigences réglementaires. Bâle II, mise en place en 2008, vient améliorer la prise en compte de ce risque dans le calcul du capital réglementaire. Si le système financier a su apprendre des crises pour renforcer le périmètre des risques couverts, il reste confronté à la difficile réactivité dans la mise en œuvre de ces évolutions.

  2. L’extra-territorialité et la dichotomie des régimes réglementaires : la multiplicité des régulateurs et des cadres réglementaires complexifie la mise en conformité des établissements financiers. Les banques européennes doivent composer avec les exigences des accords de Bâle – auxquels les banques américaines ne sont pas soumises – et les exigences des régulateurs extraterritoriaux. Pour ces derniers, le degré d’aliénation d’une nouvelle règlementation n’est pas évalué et donc pris en compte dans les arbitrages. Pour illustration, la loi Volcker, portée par la Fed interdit aux banques de détail installées sur le sol américain, ainsi qu’à leurs filiales, la négociation pour comptes propres et restreint leurs investissements dans les fonds spéculatifs et le capital-investissement. Le régulateur américain segmente et régule une partie du métier de la banque universelle alors que les régulateurs européens adoptent une vision transversale de la couverture réglementaire pour l’ensemble du secteur . Dans ce contexte, et face à un nécessaire parti-pris pour appliquer l’ensemble des règlementations, on comprend le nécessaire provisionnement pour risque de non-conformité qu’appliquent les banques européennes.

3. Les défauts de cohérence de la réglementation micro-prudentielle : la réglementation repose sur une subdivision sectorielle qui peut amener à un cloisonnement des mesures et contrôles mis en œuvre. Le manque d’harmonisation et de cohérence entre les cadres prudentiels (sectoriels, géographiques) empêchent d’adresser globalement les risques et peuvent durablement fragiliser la stabilité financière. En 2008, la filiale irlandaise de la holding américaine Bear Stearns Ireland Ltd a pu s’endetter à hauteur de 119 fois ses fonds propres sans que l’Autorité irlandaise de régulation des services financiers ne lève le drapeau rouge. Pour cause, le scope du régulateur bancaire national excluait les produits financiers. De plus, le superviseur considérait que son rôle de ne s’étendait qu’aux banques ayant leur siège en Irlande tandis que Bear Stearns Ireland Ltd était enregistrée au centre financier de Dublin.

4. Les zones grise de la réglementation prudentielle : La crise financière de 2008 a mis en évidence le vide réglementaire des centres financiers offshores (CFO), les limites règlementaires laissant les banques transférer leurs risques sur des territoires non régulés au lieu de les inhiber. Véritable source d’évasion jurisprudentielle, ces transferts ont généré une opacité masquant la fragilité des établissements et ont joué un rôle central dans la prolifération du risque systémique. Au-delà d’un simple défaut de transparence, les Centres Financiers Offshore constituent de véritables angles morts de la supervision microprudentielle. Avant 2007, la supervision réglementaire n’a pas permis d’identifier les crédits hypothécaires à risque pris par la banque Northern Rock par l’intermédiaire d’un fonds commun de créances (SPV) contrôlé par un trust à Jersey. C’est, une fois le risque avéré, grâce au plan de sauvetage gouvernemental que la situation a été révélée : aucune trace de l’endettement n’apparaissait dans le bilan de la banque qui avait pris des positions risquées.[2]

Comment mettre un terme à ces vides législatifs ? En commençant par identifier puis endiguer les paradoxes que peut engendrer la réglementation microprudentielle :

  • Étendre le périmètre de la régulation bancaire afin que les FIA, les centres offshores et les paradis fiscaux perdent l’attractivité que leur opacité réglementaire représente pour les banques
  • Renforcer le poids des régulateurs macro-prudentiels (CERS, CSF) afin d’éviter les angles morts et favoriser une meilleure couverture du risque systémique. Un premier moyen d’atteindre cet objectif consiste à remettre en cause l’efficience du cadre prudentiel existant qui ne se matérialise pas par des sanctions multilatérales pour les États qui ne suivent pas les accords obtenus au sein des institutions

La réglementation comme levier stratégique

3Face au poids de la réglementation dans le secteur bancaire, on peut légitimement se questionner sur  le rôle des banques dans le processus de mise en conformité : appliquer la réglementation avec pour objectif de se prémunir de sanctions administratives et financières tout en intégrant toujours plus vite la réglementation au cœur de leurs processus opérationnels et stratégiques pour couvrir les risques à la source. 

Face à la densité et aux échéances des exigences, les banques restent lucides quant à leur capacité à se prémunir totalement de défaillances. Elles provisionnent une partie importante de leur résultat en anticipation (voir poids des provisions pour risque de non-conformité dans le Graphique 1.) 

Pour autant les banques ont tout intérêt à chercher le coup d’avance pour aborder les enjeux règlementaires de façon globale et dégager un avantage concurrentiel.

Avec l’entrée en vigueur du règlement Emir (European Market Infrastructure Regulation), les banques européennes ont dû créer des services de gestion du collatéral dont elles ont tiré profit en couvrant leurs propres besoins, mais également en commercialisant leur expertise à d’autres banques via un service externalisé (Bank-As-Infrastructure).[3] La réglementation s’est avérée être un outil stratégique vecteur de synergies de revenus entre les mains d’établissements financiers qui ne pensaient plus seulement à comment éviter les sanctions des régulateurs mais à comment tirer profit du retard de leurs concurrents. 

En parallèle, elles investissent massivement dans les dispositifs de détection, prévention et mise sous contrôle des risques. De la taxonomie (épisode 2) aux organisations, processus, outils, certification et formations, etc., c’est toutes les dimensions des organisations bancaires et de leur culture du risque qui sont concernées (épisode 3).

Graphique 1 : Poids des dispositifs de couverture du risque de non-conformité sur la rentabilité des banques européennes

Source : Financial Stability Review (Mai 2016), BCE

Article rédigé par :
Sonia BENBERGHOUT & Romain WATERLOT

[1] Michel, A. (2014, 29 janvier). L’ambitieuse réforme des grandes banques européennes de Michel Barnier. Le Monde.

[2] Symbole de la crise financière, la banque Northern Rock vendue pour 875 millions d’euros. (2011, 18 novembre). France 24.

[3] Open Banking et nouveaux usages : comment les banques gardent-elles l’avantage ? (2022, 12 janvier). SpinPart.

Sources : 

  • Shaxson, N. (2020, 7 septembre). How Ireland became an offshore financial centre. Tax Justice Network.