Révolutionnée par l’émergence de la digitalisation et de la connectivité, l’automobile est aujourd’hui face à un moment charnière de l’histoire de son industrie devant amener à sa transformation en profondeur. Le progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle est un catalyseur pour le secteur automobile qui entre dans une nouvelle ère avec l’automatisation et la connectivité croissante des véhicules.

Les données embarquées des véhicules : des données très convoitées par l’industrie automobile

On estime que dès 2025, près d’un demi-milliard de véhicules connectés circuleront dans le monde[1]. Ces véhicules[2] sont amenés à générer et à collecter quotidiennement une multitude de données : des données techniques (usure des pièces, etc.), des données sur le mode de conduite (détection des signes de fatigue, SOS en cas d’accident, etc.) et des données personnelles du conducteur (géolocalisation, etc.). Ces données sont transmises et stockées dans les serveurs des constructeurs afin de les exploiter dans une démarche d’amélioration des produits et services ainsi que dans une démarche commerciale.

Les constructeurs automobiles ont réalisé des investissements colossaux pour mettre en place les infrastructures techniques nécessaires à la connectivité (système d’information, boîtiers embarqués, etc.) et souhaitent en tirer profit dans les années à venir en exploitant ces données.

Les possibilités liées à la connectivité représentent un potentiel énorme pour les constructeurs automobiles, mais également pour les acteurs de cette industrie. Nombreux sont ceux qui convoitent cette nouvelle manne parmi les équipementiers, concessionnaires et assureurs. En effet, les services automobiles basés sur l’IoT[3] embarqué (entretien du véhicule, navigation, communications, etc.) représenteraient un marché de près de 7 milliards de dollars d’ici 2050[4].

Ces données offrent une source d’information précieuse pour créer des offres de produits et services innovantes et extra-personnalisées (dépannage, assistance à la conduite, assurance, etc.). La donnée provenant de l’intérieur de l’habitacle du véhicule revêt ainsi un intérêt capital pour l’ensemble des protagonistes du marché automobile.

Quand les pouvoirs publics révèlent leur intérêt pour les données embarquées des véhicules…

L’écosystème automobile n’est pas le seul intéressé par les données provenant du véhicule : les pouvoirs publics estiment eux aussi que certaines données sont porteuses d’un intérêt public.

A ce titre, la Commission Européenne va examiner « la nécessité d’étendre le droit d’accès des pouvoirs publics à davantage de données[5] » à des fins d’amélioration de la gestion de la circulation et de collecte à grande échelle des données de consommation énergétique des automobilistes. Ainsi, le partage des données connectées se ferait au bénéfice de la collectivité – et non plus du seul conducteur – en fournissant une meilleure connaissance du trafic et des habitudes de mobilité. Cette analyse devrait permettre aux usagers de la route d’ajuster leurs trajets et aux pouvoirs publics de mieux cibler leurs investissements en matière de transport.

Par ailleurs, l’Union Européenne a pour projet de « créer une économie européenne fondée sur les données[6] » et étudie les mesures permettant de faciliter la libre circulation des données à caractère non personnel d’entreprise à entreprise et d’entreprise à administration. Il sera donc question – dans le cadre d’une recommandation future – de faciliter l’accès et l’utilisation des données des véhicules connectés à des fins commerciales et non commerciales.

L’enjeux de la donnée connectée vu par le prisme des réglementations européennes

Face à cet engouement pour les données connectées de la part de l’industrie automobile et des pouvoirs publics, le Parlement Européen a sollicité – en novembre 2018 – la Commission Européenne sur la nécessité de publier une proposition législative assurant « les conditions équitables en ce qui concerne l’accès aux données et ressources présentes à bord du véhicule, protégeant les droits des consommateurs et favorisant l’innovation et la concurrence équitable[7] ». Cette réglementation sur les mobilités, prévue au plus tard en 2020, devrait encadrer l’accès sécurisé et en temps réel par des tiers aux données embarquées du véhicule, amenant ainsi à l’avènement du véhicule dit « étendu » tout en permettant aux constructeurs automobiles de tirer profit des investissements technologiques qu’ils ont réalisé pour permettre la connectivité.

Bien que ces derniers soient légitimes à traiter les données connectées, il est néanmoins nécessaire que leur usage soit respectueux des impératifs de protection de la confidentialité et de la vie privée des individus car elles révèlent beaucoup du mode de vie, préférence ou habitude de l’automobiliste.

L’autorité de régulation Française, la CNIL – positionnée en « Cheffe de file » des autorités européennes en matière de protection des données embarquées – estime pourtant que la majeure partie des données recueillies par les véhicules sont des informations à caractère personnel[8], nécessitant d’être protégées et confidentielles. C’est dans ce contexte que l’autorité a présenté en octobre 2017 un « Pack de conformité véhicule connecté ». Cette boîte à outils à destination des constructeurs automobiles complète et précise le Règlement Européen de Protection des Données (RGPD), entré en vigueur le 25 mai 2018. En effet, ledit règlement détaille la notion de consentement explicite – de la part d’un client ou usager – au partage de ses données personnelles car elles révèlent des informations sur sa vie privée. Le RGPD indique également – article 20 – que les automobilistes concernés peuvent décider de mettre leurs données à la disposition des prestataires de services si tel est leur souhait. Ce qui ne manquera pas de faire le bonheur des acteurs du secteur automobile.

En conclusion…

… les véhicules connectés et étendus sont prometteurs de grandes avancées en matière de développement de produits et services sur-mesure par l’industrie automobile et en matière d’amélioration de la gestion des mobilités par les pouvoirs publics.

Néanmoins, les principes juridiques du droit à la concurrence devront établir un cadre légal juste – explicitant les conditions de ce système économique encore à définir – s’ils obligent le détenteur de la donnée connectée à la rendre accessible à des tiers via des serveurs neutres.

L’usage de la donnée embarquée devra également s’inscrire dans le respect de l’ensemble des réglementations déjà définies en matière de protection des données personnelles, dont le RGPD.

La Commission Européenne devra veiller à ce que la future réglementation sur les mobilités protège les intérêts des automobilistes, maintienne le juste équilibre entre partager des données publiques et privées, assure la sécurité et la cybersécurité de ces véhicules et permette une concurrence équitable.

En d’autres termes, se pose la question de la confrontation entre les différents droits existants, les grands projets et orientations à venir de l’Europe et l’avènement des véhicules connectés et étendus qui élargissent le champ des possibles pour l’industrie automobile d’ici 2020. La donnée connectée est à la croisée des chemins. D’importants challenges de collaboration se profilent entre les constructeurs automobiles, les pouvoirs publics, les protagonistes du secteur automobile et les autorités qui veillent à la protection des données.

Références et notes

[1] Rapport de PWC et Strategy&, Décembre 2017 : https://www.pwc.fr/fr/assets/files/pdf/2017/12/pwc-information-presse-digital-auto-report.pdf

[2] C’est-à-dire, les véhicules qui communiquent avec l’extérieur (applications mobiles, autres véhicules, infrastructure, etc.)

[3] Internet of Things, ou Internet des Objets

[4] Rapport d’Intel et Strategy Analytics, « Accelerating the Future: The Economic Impact of the Emerging
Passenger Economy », Mai 2017

[5] Communication de la Commission Européenne, Mai 2018 :  « En route vers la mobilité automatisée : une stratégie de l’UE pour la mobilité du futur » https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-283-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF

[6] Communication de la Commission Européenne « Vers un espace européen commun des données », publiée le 25 avril 2018 et « Créer une économie européenne fondée sur les données » et rapport de la plateforme sur les systèmes de transport intelligents coopératifs (Rapport final de janvier 2016 : https://ec.europa.eu/transport/sites/transport/files/themes/its/doc/c-itsplatform-final-report-january-2016.pdf)

[7] Résolution non législative du 13 mars 2018 « Une stratégie européenne relative aux systèmes de transport intelligents coopératifs »

[8] Doivent être considérées comme des données personnelles toutes les données du véhicule qui, seules ou combinées entre elles, peuvent être rattachées à une personne physique (conducteur, propriétaire du véhicule, titulaire de la carte grise, passager, etc.), notamment via le numéro de série du véhicule.