L’innovation est au cœur de la transformation des organisations. Loin de se limiter à une dimension digitale, elle concerne tous les pans de l’organisation : ressources humaines, processus, modes de travail et de management, services aux usagers, etc.

En effet, l’innovation, telle que définie par Schumpeter dans la théorie du développement économique, est marquée par un double mouvement d’adaptation et de réaction d’une organisation face à un environnement évolutif afin de garantir sa survie.

Or, dans un contexte budgétaire toujours plus contraint, d’exigence accrue des administrés en matière d’offre et de qualité de service, et d’une concurrence toujours plus étendue des acteurs du secteur privé, les administrations publiques sont confrontées à la nécessité de s’adapter pour faire plus et mieux, avec moins.

Cette double injonction de performance et d’efficience entraîne de nombreux défis pour les administrations :

      • à la fois internes : organisation du travail, modes de management, gestion / développement des compétences, attractivité, fidélisation et engagement, etc.
      • mais également externes : amélioration de la relation usager, développement et adaptation de l’offre de service, détection, compréhension et prise en compte des attentes des usagers, appropriation des dispositifs d’action publique, etc.

Elle oblige à interroger les modes d’organisation, de fonctionnement et de production des administrations pour agir et penser de manière plus agile, et questionne la figure et la place de l’usager et de ses usages quel que soit son profil (agent public / administré).

La pensée design révèle tout son intérêt pour les administrations publiques dans la mesure où elle place les usages et usagers au cœur du processus d’innovation quel qu’en soit l’objet. Avec la pensée design, les usagers participent directement à l’élaboration de solutions adaptées aux besoins, contraintes et attentes des différentes parties prenantes.

Cette approche peut être étendue à différents types de problématiques (digitale, RH, opérationnelle, organisationnelle, managériale, etc.) gageant ainsi de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs déployés notamment auprès des acteurs publics. Trois illustrations des apports de cette approche sont présentées ci-après à travers l’amélioration d’une offre de service, la (co)conception et la mise en œuvre d’une nouvelle organisation et la (co)définition d’une nouvelle stratégie RH

Définition, adaptation ou évolution d’une offre de service

C’est peut-être le domaine dans lequel l’approche design est la plus attendue, en associant les bénéficiaires d’un service à ses modalités de conception et de mise en œuvre. On retrouve d’ailleurs de fortes convergences entre les principes du design thinking et ceux de design de service. L’idée est de concevoir un service qui tienne tout à la fois compte des besoins (exprimés ou non) et des attentes des bénéficiaires, mais aussi des conditions et du contexte d’administration du service pour maximiser les effets et l’efficacité de sa mise en place.

Il est ainsi utile de prendre la mesure des effets vertueux d’une association très en amont des bénéficiaires finaux avec les agents qui seront amenés à délivrer le service. L’avantage d’une approche par le design est de ne pas segmenter les profils utilisateurs car l’agent qui délivre est considéré au même titre que le bénéficiaire qui reçoit. L’expérience visée n’est pas uniquement celle du bénéficiaire mais de l’ensemble de la chaîne d’acteurs intervenant dans le process : « ce que j’attends d’un service et la manière dont on me le délivre ».

 

C’est dans cet esprit qu’un projet de développement de la lisibilité et de l’accessibilité au RSA, et d’amélioration de l’efficacité du retour à l’emploi des bénéficiaires, a été mené au conseil départemental du Val d’Oise. L’un des constats ayant présidé au déploiement de ce projet était que le dispositif était coûteux au regard de sa faible efficacité. C’est à travers l’observation et la confrontation des professionnels et bénéficiaires que des pistes d’amélioration véritablement génératrices de valeur ajoutée en termes de service public et d’expérience usager ont pu être envisagées, favorisant nettement les conditions de retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA dans le département.

 

En effet, se focaliser uniquement sur le bénéficiaire n’aurait probablement pas permis d’améliorer le service significativement sans action simultanée sur les conditions de délivrance de celui-ci :

      • Questionner l’harmonisation des pratiques professionnelles entre les équipes territorialisées,
      • Concevoir des dispositifs de communication à destination des professionnels pour clarifier le dispositif,
      • Développer les outils de médiation entre professionnels et bénéficiaires,
      • Améliorer le suivi administratif des bénéficiaires,
      • Etc,

Conception d’une nouvelle organisation / réorganisation

Très souvent l’exercice de conception d’une nouvelle organisation reste aux mains d’un comité de direction, avec le soutien ou non d’experts en organisation. Or, combien de projets de réorganisation ou de transformation culturelle ne parviennent pas à s’incarner dans le quotidien opérationnel des agents et se limitent à leur formalisation administrative : un nouvel organigramme avec de nouvelles fiches de poste sans que ne soient véritablement impulsés les changements recherchés (agilité, transversalité, collaboration, innovation) ? Avec parfois le constat difficile que, malgré le déploiement coûteux de nombreux dispositifs d’accompagnement managériaux, l’évolution de la culture et des modes de travail peine à trouver une traduction concrète au quotidien.

Pour réinventer des modes d’organisation et de fonctionnement, n’est-il pas nécessaire d’embrasser l’ensemble de la chaîne d’acteurs et d’articuler les différentes visions et contraintes vécues par chacun ? De capitaliser sur l’expérience et la connaissance de chaque échelon pour identifier les meilleurs leviers à activer pour atteindre sa cible ? 

C’est finalement la place de l’ensemble des usagers finaux de l’organisation – les agents de direction mais aussi les managers et équipes opérationnelles – qui doit être considérée dans la déclinaison de ce que seront demain leurs nouveaux modes de fonctionnement et d’organisation.

L’approche par le design en organisation propose de replacer l’usager / l’agent au cœur de la définition des organisations et des nouveaux modes de travail. Il n’est pas nécessairement partie prenante dans la formalisation du cap stratégique mais bien au centre de son opérationnalisation. Il s’agit d’abord d’observer et de comprendre la diversité des acteurs et de leurs pratiques. Ensuite, de faciliter la confrontation des visions entre les différentes typologies d’acteurs et l’émergence d’idées face à l’évolution envisagée. Enfin, d’inviter à l’expérimentation très concrète des solutions / dispositifs organisationnels retenus, dans une logique d’itération et d’amélioration continue. Les usagers de la future organisation participent ainsi très concrètement à la déclinaison opérationnelle de l’ambition stratégique définie par la direction en rendant possible l’articulation de cette cible avec la réalité des situations de travail.

À nouveau, ce sont les destinataires des changements qui, en fonction de leurs connaissances opérationnelles, et à travers l’échange entre des profils variés, sont les plus à mêmes, dans un cadre bien défini, de :

      • Identifier les leviers de la transformation pertinents à mobiliser en fonction de l’objectif stratégique poursuivi
      • Proposer des traductions opérationnelles adaptées et efficaces
      • Incarner cette transformation quotidiennement

On entrevoit bien quels avantages cette démarche est susceptible d’apporter à des administrations publiques devant réinventer leurs modes de fonctionnement pour gagner en efficience et en efficacité, en capitalisant sur la connaissance des agents de terrain en capacité d’identifier les leviers d’optimisation et de performance tant dans les modes d’organisation que des pratiques de travail.

Définition d’une stratégie RH

L’élaboration d’un schéma directeur RH au sein d’une administration centrale est un exercice particulièrement codifié visant à diffuser la stratégie nationale à l’ensemble de ses structures locales. Il traduit la logique top down qui guide classiquement la conception de ce dispositif.

Pour autant, cette approche questionne la pertinence et l’ancrage terrain véhiculé au sein de ce type d’outils stratégiques. Les orientations définies par une autorité centralisatrice font-elles échos aux réalités vécues au sein de structures locales ? La feuille de route tient-elle compte des difficultés ou des attentes de ses usagers (en l’occurrence, les DRH locaux et les agents eux-mêmes) ? Et, dans le cas contraire, quelle est l’utilité concrète de ce type de dispositif ? Comment s’approprier et décliner opérationnellement des objectifs qui ne répondent à aucun enjeu perçu ?

La pensée design n’est pas utilisée ici pour créer une articulation entre stratégie de transformation et opérationnalisation du changement comme évoqué dans l’exemple précédent, mais de garantir l’opérationnalité du changement et l’appropriation de la feuille de route. À travers l’association des différents types d’acteurs à la conception et la mise en œuvre de la stratégie RH, l’approche design permet ainsi de définir un cap commun qui tient compte des réalités de terrain et de la situation vécue par les acteurs locaux :

      • La prise en compte de la vision des différentes parties prenantes (niveau local et national)
      • L’adéquation des ambitions et objectifs posés au regard de la situation réelle et des attentes de ceux qui doivent les atteindre
      • L’appropriation de la vision et des enjeux portés par la stratégie par ceux qui doivent l’incarner au quotidien
      • L’identification de leviers, outils, méthodes par le terrain pour innover face aux ambitions portées
      • La diffusion d’une dynamique collaborative et co-constructive génératrice d’idées au service de l’innovation continue

C’est le pari réussi de la Cnav qui a élaboré son schéma directeur des RH (transformées) à travers une démarche design, fortement participative et mobilisatrice, reposant sur les acteurs locaux, dans un esprit d’itération continue.

Pensée design et innovation publique : une association gagnante sous condition

Si cette démarche repose sur le principe de co-construction, elle est aux antipodes d’une absence de cadre, de règles ou de norme. Réussir un projet inspiré par la pensée design nécessite une méthodologie rigoureuse qui mobilise des expertises pointues.

C’est d’abord la précision du cadre, de la problématique et du cap à suivre (améliorer son offre / qualité de service, développer son efficience organisationnelle, faire évoluer ses modes de travail, etc.) par les acteurs décideurs qui permettra ensuite une définition fine des règles et du périmètre de jeu laissé aux co-designers.

C’est ensuite à travers le travail de sélection, d’enrôlement, de mobilisation et de responsabilisation des co-designers – qui va de pair avec l’autonomie octroyée dans la définition de solution – que la démarche pourra véritablement exprimer son potentiel dans le cadre duquel elle s’établit.

Enfin, c’est aussi le rôle du consultant facilitateur qui, à travers sa posture, se fait garant du cadre et des objectifs de la démarche. Il lui revient de subtilement savoir rappeler les règles du jeu tout en aidant les participants à s’ouvrir à de nouveaux champs des possibles.

Article rédigé par :
Bénédicte FERY