La limite pour répondre à l’appel d’offres portant sur l’exploitation de la ligne de tramway T9 (de Paris à Orly Ville) et des sept lignes de bus du réseau « Bord de l’Eau » (département du Val-de-Marne) était fixée à la mi-juin 2018. Ile-de-France Mobilités (IDFM), autorité organisatrice unique pour l’ensemble de la région, aurait reçu des offres de RATP Dev, Transdev, Keolis et de l’espagnol Moventia. Ce marché préfigure l’ouverture à la concurrence pour le réseau de bus et tramways franciliens, et la fin du monopole historique de la RATP couvrant les réseaux de métro, tramway et une partie du réseau de bus francilien.

Terminus pour le monopole

En 2007, le règlement européen OSP (Obligations de Service Public) a introduit le principe d’une mise en concurrence des services de transport. La loi ORTF (Organisation et Régulation des Transports Ferroviaires) de 2009, sa traduction dans le droit français, prévoit pour la région Île-de-France, une ouverture à la concurrence en 2025 pour le bus, 2030 pour le tramway et 2040 pour le métro et le RER.

Les échéances peuvent sembler lointaines, mais les conséquences commerciales, organisationnelles et sociales de ces dispositions sont déjà au centre des préoccupations des opérateurs. D’autant que ces dates ne concernent que les services existants : pour les nouvelles lignes comme le T9 ou les futures lignes du Grand Paris Express, la concurrence est d’ores et déjà une réalité. C’est aussi le cas pour les lignes de bus en grande couronne (départements 77, 78, 91 et 95) actuellement exploitées sous contrat avec IDFM par les entreprises de l’association professionnelle Optile.

Reconduits en janvier 2017 pour une durée de quatre ans, ces contrats courent donc jusqu’à fin 2020. Mais à cette date, quatre réseaux de lignes de bus en grande couronne ouvriront à la concurrence (réseaux des Bords de l’Eau, de Sénart, du Mantois et du Grand Ouest). Cette  décision d’IDFM fait suite à un avis du Conseil d’Etat rendu en novembre 2016, qui a accéléré la mise en concurrence, au grand dam des opérateurs d’Optile, qui pointent un traitement inéquitable des transporteurs de voyageurs en grande couronne par rapport à la RATP, qui voit, elle, son réseau de bus protégé jusqu’à la fin 2024 et dont il y a fort à parier qu’elle se positionnera sur les marchés en grande couronne.

Si la bataille pour la grande couronne s’annonce d’ores et déjà serrée, ce n’est qu’un avant-goût de celle que se livreront les opérateurs sur le reste du réseau francilien, qui aiguise les appétits des grands opérateurs mondiaux. Transdev et Keolis ont déjà manifesté leur intention de ne plus se limiter aux bus et cars de la grande couronne. Ces deux géants du transport public (avec des chiffres d’affaires de plus de 5 milliards d’euros pour chacun), qui jouissent d’une expérience certaine, ne seront pas les seuls à contester les marchés de la RATP.

La RATP fourbit ses armes

Du côté de la Régie parisienne, on compte sur « la culture de l’appel d’offres » qui caractérise sa filiale RATP Dev. Celle-ci est en effet déjà exposée à la concurrence et réalise plus d’un milliard de chiffre d’affaires, aussi bien en France qu’à l’étranger. La stratégie du Groupe pour préparer ces évolutions majeures fait l’objet d’un dialogue permanent entre la direction et les partenaires sociaux. Pour autant, les syndicats de la RATP redoutent la transition, faisant valoir une baisse prévisible de la qualité du service offert aux voyageurs et le risque de voir la Régie privatisée.

En effet, la RATP s’est lancée dans un plan de performance appelé Diapason, qui vise à améliorer, d’ici à 2024, sa compétitivité. Il s’agit de repenser l’organisation interne pour réduire les charges des fonctions support qui représentent 20% des charges d’exploitation de la Régie, pour les rapprocher du niveau de la concurrence, qui se situerait aux environs de 15%.

D’autre part, l’autorité organisatrice imposera pour le réseau de bus, comme c’est le cas pour le contrat T9 et selon des dispositions classiques pour le transport public, la création d’une société dédiée dont l’objet social sera exclusivement réservé à l’exécution du contrat. Il reste encore aux pouvoirs publics à définir le lotissement selon lequel le réseau de bus historique de la RATP sera mis en concurrence.

En fonction des marchés remportés, la RATP devra donc adapter son organisation au futur découpage du réseau avec nécessairement des divergences entre le lotissement qui sera décidé pour le réseau et l’organisation historique de la RATP, qui gère le réseau d’un bloc à partir de 25 centres bus dépendant directement d’un département dédié en central. Elle devra également accueillir en son sein des sociétés de droit privé pour lesquelles il faudra gérer les interfaces avec l’EPIC RATP, les services centraux à fournir éventuellement et la mise à disposition des personnels.

Sur le volet spécifiquement RH, c’est la nature du cadre social harmonisé qui reste à déterminer. Celui-ci devra mettre les futurs concurrents sur un pied d’égalité entre les acteurs privés et la RATP dont les salariés bénéficient jusqu’à présent d’un statut spécifique.

C’est donc bien à un bouleversement total du paysage du système et des sociétés de transports en Île-de-France que conduit l’ouverture à la concurrence. Avec l’irruption dans la course de nouvelles entreprises exploitantes, nul doute que les opérateurs en place chercheront, au-delà des adaptations organisationnelles indispensables, à améliorer la qualité de leur service aux clients voyageurs pour conserver autant que possible leur place dans un marché où le rôle de l’autorité organisatrice sera considérablement renforcé.