L’Excellence Opérationnelle est devenue le système de management de référence pour garantir la compétitivité des entreprises. Les résultats opérationnels sans cesse améliorés contribuent à la performance économique et une large implication de tous dans les projets de progrès contribuent au développement de l’épanouissement des collaborateurs. Une entreprise qui vise l’Excellence Opérationnelle est de fait une entité intégrée qui crée de la valeur, de manière efficace et efficiente pour ses différentes parties prenantes, sans gaspiller inutilement les ressources disponibles et les efforts humains.

Cependant, la dimension environnementale est encore insuffisamment prise en compte dans les plans de progrès de l’entreprise. Et pourtant, chaque année, le « jour du dépassement de la Terre » survient plus tôt (dès le mercredi 29 juillet en 2021). C’est pourquoi, au-delà de l’optimisation classique des flux de matière, il est intéressant de porter un regard spécifique sur l’efficience matière, qui devient un enjeu crucial pour la société.

Dans un monde fini, le développement de la frugalité devient incontournable, comme le souligne Marc HALEVY, expert en prospective. « Faire toujours mieux avec toujours moins » est alors un défi quotidien à relever. Et pour y répondre, les natures de performances visées par le déploiement de l’Excellence Opérationnelle peuvent structurer la réflexion, à savoir les processus, les métiers, l’organisation.

L’éco-efficience des processus

En tout premier lieu, l’entreprise doit rendre ses processus efficaces et efficients, c’est-à-dire satisfaire ses clients en utilisant le minimum de ressources. Chaque processus doit apporter toujours plus de valeur au client et réduire au maximum toute forme de perte sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise.

Plus spécifiquement, les entreprises adoptant une stratégie d’éco-efficience améliorent de manière continue la productivité de leurs processus tout en réduisant leur impact environnemental. L’éco-efficience vise à réduire la consommation des ressources (énergie, eau et matières premières) ainsi que l’impact sur l’environnement naturel (les émissions atmosphériques, la consommation d’eau, les déchets produits ou la dispersion de substances dangereuses), tout en maintenant ou en améliorant la valeur du produit fabriqué.

 

En termes de démarche centrée sur l’efficience matière, les méthodes et techniques en support à la stratégie de l’éco-efficience sont nombreuses ; elles se déclinent tout naturellement des outils du Lean management. Le bilan matières (entrées / sorties) remplace le SIPOC (Supplier/Input/Process/Output/Customer). Les flux de valeur sont cartographiés ; la fameuse « Value Stream Mapping » est alors ajustée pour se centrer sur les pertes matières par activité et permet de révéler les gisements de gains. Pour analyser les déchets, la matrice « Coût de traitement / Valeur d’achat » permet de cibler des matières à enjeux. Des actions de progrès à fort impact peuvent alors être trouvées, en gardant toujours l’ordre prioritaire d’action cadré par la méthode des 3R (Réduction, Réutilisation, Recyclage) car la réduction à la source des pertes doit être avant tout visée dans l’esprit même de l’Excellence Opérationnelle. Et par famille de perte de chaque activité, le métier concerné doit contribuer à la performance globale par des actions environnementales spécifiques.

La performance environnementale des métiers

En premier lieu, le Marketing adopte l’économie de fonctionnalité ou de l’usage (Product Service System) dans son approche du marché, ce qui ouvre des perspectives de réduction des déchets à grande échelle. Le remplacement de la vente du bien par celle de la vente de l’usage du bien entraîne le découplage de la valeur ajoutée et de la consommation de matières premières. Par exemple, Michelin facture les kilomètres parcourus par les camions équipés de ses pneus au lieu de les vendre, et Xerox ou Lexmark facturent les photocopies à l’unité, au lieu de vendre ou de louer les machines. L’entreprise peut par ailleurs développer des relations privilégiées avec ses clients pour créer de la valeur économique, en mettant en place une logistique inverse (ou Reverse Logistique). Par exemple, la politique d’innovation du groupe Seb se tourne résolument vers la réparabilité du petit électroménager ; ainsi moins de déchets sont générés.

De leur côté, les Achats intègrent le concept d’économie circulaire avec des fournisseurs et partenaires locaux. Le déchet d’une entreprise est utilisé comme ressource pour réaliser un autre produit dans une autre chaîne de valeur. L’impact est double car les gains sont économiques et environnementaux. Dans le prolongement, en travaillant avec les concepteurs dans une logique d’éco-conception, le sourcing porté par les Achats peut être revu en intégrant des Matières Premières dites « Secondaires ». Par exemple, Plastic Omnium produit ses conteneurs à partir de Matières Premières Secondaires vendus par la société Derichebourg, spécialisée dans le recyclage des plastiques.

Par ailleurs la Production, en inscrivant l’ensemble des outils du Lean Management dans ses pratiques (la qualité à la source, le flux tiré lissé, la réduction de tout type de rétention, des moyens de conditionnement réutilisables) réduit de manière continue ses pertes matières (non-qualité, stocks obsolètes, déchets de consommables). Enfin, chaque métier adoptant ces pratiques plus soucieuses de l’environnement engage ses équipiers dans de nouvelles démarches de réflexions, source d’inspiration et de créativité pour tous. L’organisation pose ainsi les bases de l’éco-responsabilisation.

L’éco-responsabilision du personnel

Pour l’éco-responsabilisation, la dimension principale de progrès visée n’est pas uniquement environnementale mais bien sociale, car centrée sur la motivation du personnel. L’entreprise, ajustant sa raison d’être en intégrant un volet sur le respect de la planète, est davantage porteuse de sens ; c’est une opportunité de susciter l’intérêt des salariés car alors chacun se sent utile à la société civile. La performance sociale se mesure alors par le taux de satisfaction du personnel, l’absentéisme, le retard, la sécurité, la productivité, la qualité, le nombre annuel de suggestions par personne, le turnover. Pour y parvenir, il est fondamental d’amener ses employés à adopter des pratiques environnementales vertueuses.

Les opportunités sont multiples. L’adoption au quotidien par les employés de pratiques environnementales dans l’entreprise (tri des déchets, réutilisation de matériels, etc.) et la contribution à des chantiers de progrès impactant la planète (l’efficience matière, la réduction de consommation d’énergies, etc.) donne du sens et augmente le niveau d’engagement. Par équipe, des objectifs de réduction des pertes matières et emballage sont fixés. Il existe un ou plusieurs temps d’animation dédié à la perte matière (journée « Hoshin » matière, journée de sensibilisation, etc.).

Les rituels de management et de résolution de problèmes intègrent une dimension environnementale. Des actions simples et engageantes sont possibles. Par exemple dans les usines, l’analyse des poubelles suivie d’une analyse causale permet de cibler des actions de progrès de réduction des déchets. Par équipe, un leader « environnement », en soutien du manager, peut même être investi de missions au service du collectif.

En synthèse, l’Excellence Opérationnelle peut développer trois dimensions environnementales complémentaires, l’éco-efficience des processus, la performance environnementale intrinsèque des métiers, et l’éco-responsabilisation du personnel. Le centrage sur l’efficience matière est naturel car il fait échos à l’optimisation du flux de matière propre aux plans de progrès classiques de l’Excellence Opérationnelle. L’extension aux autres formes de ressources (l’énergie, l’eau) et autres externalités négatives (les émissions atmosphériques, la dispersion de substances dangereuses, etc) est une évolution naturelle au regard des enjeux sociétaux actuels.

En élargissement ainsi son champ de progrès aux considérations environnementales, l’entreprise qui vise l’Excellence Opérationnelle conforte sa stratégie RSE par une approche pragmatique partagée. La triple performance correspondant aux trois piliers du développement durable (People, Planet, Profit) devient une préoccupation permanente.

Par un progrès continu (pas à pas) dit « soutenable », l’entreprise devient ainsi plus durable.

Article rédigé par :
Alain FERCOQ