La littérature du moment érige les objets connectés et la maintenance prévisionnelle (ou maintenance prédictive) comme le must have » d’un futur proche. Pourtant, force est de constater que bon nombre d’industriels en sont encore loin, qu’ils envisagent ou ont déjà engagé des démarches de transformation. Même bien préparés et accompagnés, le chemin reste long, mouvementé (déploiement d’infrastructures IoT, de solution d’analyse, acquisition de nouvelles compétences, réalignement des processus voire de l’organisation…), avec des gains soumis à la réussite de projets complexes impliquant de nombreux acteurs. La fonction maintenance étant au service des divisions en charge de l’exploitation, de la sécurité et constituant un centre de coûts, pourquoi ne pas d’abord revenir aux fondamentaux du Lean Start-up pour améliorer son efficacité, adopter une approche centrée client et pivoter avec agilité ?

Industrie du futur, ruptures technologiques (IoT, AI, cobots…) et évolutions des normes…

Tertiarisation des emplois, perte de compétitivité, balance commerciale déficitaire depuis des décennies, la France cherche à moderniser son industrie et s’engage sur les pas de l’Allemagne avec l’industrie du futur pour regagner en productivité et compétitivité : meilleure efficacité opérationnelle, amélioration de la sécurité, agilité de l’outil de production… Tous les secteurs sont concernés : industrie, énergie et utilities, transport, travaux publics, grande distribution, hôpitaux, immobilier, collectivités…

Parallèlement à ce rattrapage, les nouveaux modèles économiques disruptifs mettent à mal les organisations en place. Il faut donc innover pour devancer la demande des clients et créer de nouvelles opportunités de marché en intégrant les dernières innovations technologiques : intelligence artificielle, exploitation des données de masse (Big Data) et objets connectés (IoT).

La maintenance se transforme dans un contexte de ruptures technologiques, de nouveaux modes de management et d’évolution des normes. 

… la maintenance doit pivoter pour toujours mieux répondre aux attentes de ses clients (internes)…

Les ruptures technologiques, managériales, voire les évolutions réglementaires constituent une opportunité et un moyen pour moderniser les pratiques au service de la déclinaison opérationnelle de la stratégie de l’entreprise. Après une période de transformation digitale engagée dans les directions commerciales puis les fonctions transverses (RH, Finance-Gestion…), les entreprises ont atteint une certaine maturité leur permettant de passer à la vitesse supérieure avec l’exploitation et la maintenance des actifs industriels.

Selon la maturité des équipes et des outils existants, l’agilité des processus et des organisations, la transformation à engager est d’ampleur variable. En effet, la réussite de toute transformation se mesure à l’aulne de l’adhésion des utilisateurs et de la valeur qu’ils y trouvent. C’est d’autant plus vrai que la fonction maintenance est au service ou en interaction forte avec de nombreuses entités et pas seulement l’exploitation : direction financière, chaine logistique, DSI, direction des achats et prestations…

Les enjeux et objectifs ne sont donc pas uniquement guidés par l’efficacité de l’outil de production et la réduction des coûts, d’où l’importance d’identifier les attentes de ces clients internes pour mieux y répondre.

On retrouve bien ici les fondamentaux du Lean management cherchant à identifier les éléments de valeur perçus par l’écosystème. L’amélioration de tout ou partie des activités à faible valeur ajoutée pour le client n’a donc pas d’intérêt, surtout si elle s’avère compliquée et non acquise. En outre, les démarches Lean de type DMAIC s’attachent bien à identifier des éléments à mesurer pour mener des analyses, améliorer l’existant et contrôler les effets : toute la promesse des données à récolter via les objets connectés.

Modèle d’activités dans l’industrie : la maintenance a un rôle central au côté de l’exploitation et des processus amont-aval

… et se focaliser sur des petites victoires…

Une fois les attentes des parties prenantes définies et selon l’historique et les ambitions, la trajectoire doit à la fois être construite sur des bases solides et conçue pour favoriser l’engagement de tous. Cela se traduit par une approche donnant la primauté à des essais concrets aux résultats mesurables rapidement. Il est alors plus aisé de capitaliser sur de premiers succès rapides et encourageants ou à défaut des échecs de plus faible ampleur qui permettent de rebondir.

Nous constatons ainsi chez nos clients et partenaires que nombre de programmes de transformation des entités de maintenance concernent avant tout l’intégration et l’acculturation à un progiciel de gestion, l’outillage en mobilité des techniciens itinérants ou mainteneurs (tablettes, Smartphones interfacés avec la GMAO, lunettes connectées, assistants vocaux…), la dématérialisation des supports (rapports d’intervention, devis, factures, saisie des temps et indemnités…), ou encore des sujets transverses de réorganisation, de maitrise de la documentation de référence, de gestion du REX, de pilotage et suivi des activités de planification contractuelle (préventif) ou des dépannages (curatif).

D’autres méthodologies moins connues ou en vogue que la supervision et la maintenance prévisionnelle donnent aussi des résultats probants. L’analyse de criticité permet par exemple de définir l’importance que chaque équipement revêt dans l’ensemble du processus, et de redéfinir les priorités de maintenance en conséquence. Cela permet de faire la part des choses et d’envisager des politiques de maintenance (préventive, conditionnelle, prévisionnelle) adaptées selon si l’équipement est jugé critique, important, secondaire…

La maintenance possède donc de belles marges de progression via l’application d’analyses factuelles (AMDEC, méthode dite de Design Review Based on Failure Mode, maintenance basée sur la fiabilité connue sous l’acronyme RCM, l’analyse Pareto…) qui permettront d’identifier plus facilement les équipements à superviser et les politiques de maintenance les plus adéquates.

Hiérarchisation des politiques de maintenance dans une logique d’amélioration de la fiabilité (RCM : Reliability Centered Maintenance)

… pour tirer les leçons de ses échecs, viser plus haut et aider l’entreprise à satisfaire les clients (externes)…

Ainsi, certains acteurs se lancent déjà dans des expérimentations sur une partie de leurs activités. RTE surveille par exemple la flèche des lignes d’alimentation, la température de l’huile des transformateurs, le couple des organes de coupure haute tension… pour identifier les données qui délivreront des informations pertinentes en vue d’optimiser les gammes de maintenance. L’objectif du groupe est de surveiller 50 % de son réseau électrique d’ici à 2030 pour tirer parti des données collectées qui nécessitent (et nécessiteront toujours) une expertise humaine (même avec la généralisation de l’intelligence artificielle).

Pour les opérateurs de transport ferroviaire (RATP,SNCF), le concept de maintenance « predictive » n’est pas non plus nouveau. La difficulté repose davantage sur la diversité des équipements et des paramètres à contrôler (vibrations, température, courant, tension…), le type de capteurs à mettre en place et le mode de collecte des données rendent la tâche complexe. Des disjoncteurs ont déjà été équipés pour transmettre les paramètres électriques des postes d’alimentation « traction » à un centre de contrôle. Cela permettra à termes de rechercher des pannes et de mener des analyses aujourd’hui réalisées par des techniciens. Restera ensuite à travailler en coopération avec les équipementiers et constructeurs de matériels pour prédire des opérations de maintenance selon des critères spécifiques.

Toujours dans le domaine du transport ferroviaire, des tests sont en cours pour la détection et l’alerte immédiate de défauts sur les pantographes de trains en circulation.

Chez les fournisseurs d’ascenseurs et d’escaliers, les fondamentaux sont aussi maitrisés : les visites de maintenance sont planifiées via le système de gestion intégré. Sur son Smartphone, le technicien reçoit son planning à jour, y renseigne les opérations effectuées sur place et y enregistre son compte rendu d’intervention. Cela laisse donc la place pour mener d’autres expérimentations basées sur la surveillance des installations. Divers capteurs permettent d’identifier une marche cassée, la surchauffe d’un moteur ou la rupture d’une main courante… autant d’informations qui permettent d’envoyer au plus vite un technicien sur place avec l’outillage, les pièces de rechange et les compétences nécessaires.

… notamment quand l’entreprise ne propose qu’un produit et pas un service

Enfin, les données mesurées peuvent servir à tout l’écosystème, notamment quand l’entreprise les utilise pour son propre compte et pour vendre un service : Michelin valorise ainsi doublement ses pneus connectés. Couplées à des données climatiques, les données d’usage récoltées (distance parcourue, masse transportée, qualité du sol…) lui permettent d’une part d’améliorer la conception de son produit historique et d’autre part à ses clients d’optimiser la maintenance et la durée de vie des pneumatiques sur les camions.

De même, en équipant ses avions et hélicoptères de capteurs, Airbus collecte des informations lui permettant de mieux comprendre l’utilisation réelle des appareils et d’améliorer leur conception ou encore d’optimiser ses contrats de maintenance. Il fournit également aux compagnies aériennes (ou opérateurs des vols) un service pour les aider à améliorer la sécurité de leurs opérations en vol et optimiser l’organisation de la maintenance de leur flotte.

La supervision des équipements et bâtiments via des capteurs et objets connectés dans une logique d’amélioration de la gestion et la valorisation des actifs (suivi en temps réel, maintenance prédictive, intégration de l’intelligence artificielle…) doit donc rester une ambition à terme pour notre industrie. Il est toutefois important de procéder par paliers au rythme qui convient à l’entreprise, sans forcément céder aux « chants des sirènes », surtout quand l’entreprise fournit uniquement un produit et n’est pas en mesure de valoriser ses investissements (humains, financiers…) à travers un service.

Même si le panorama des pratiques et usages est varié (secteur d’activités, taille de l’entreprise, spécificités…), le passage à la maintenance prévisionnelle est aujourd’hui souvent perçu comme une nécessité, souvent très éloigné de la réalité opérationnelle et des difficultés déjà rencontrées. Réussir les premières étapes de la transformation des métiers de la maintenance en maitrisant les bases (planification des visites, gestion des interventions…), faisant adhérer les utilisateurs, les impliquant dans la définition de la cible et la trajectoire sont des facteurs clés de succès pour mieux s’aventurer vers la collecte massive de données (et leur analyse), la maintenance prévisionnelle ou encore l’intégration et l’usage de l’intelligence artificielle.