La fonction publique représente 20% de l’emploi en France¹. Ceci signifie qu’elle détient 20% des compétences professionnelles du pays et qu’elle a la responsabilité de gérer 5,5 millions d’agents (et autant de carrières professionnelles) afin que chacun réponde à la mission qui lui est dévolue

A l’instar des entreprises privées, le premier employeur français est confronté à des problématiques de gestion de ses ressources humaines dans un contexte de transformation soutenu avec :

  • Une évolution de ses métiers et des compétences afférentes pour s’adapter aux évolutions politiques, fonctionnelles ou techniques, ainsi qu’aux attentes des usagers ;
  • De nouvelles attentes et pratiques de ses agents, qui se traduisent notamment par une demande plus forte de bénéficier d’un accompagnement de carrière adapté et personnalisé ;
  • Un enjeu d’attractivité des métiers de la fonction publique, avec un recours croissant à la contractualisation pour pallier des manques d’effectifs et/ou de compétences ;
  • La nécessité de développer une véritable Gestion Prévisionnelle des Emplois, des Effectifs et des Compétences (GPEEC) pour anticiper et piloter les évolutions RH dans un contexte de contraintes budgétaires fortes impliquant une pression constante de réduction des effectifs et un impératif d’optimisation des ressources.

Au regard de la volumétrie des agents gérés dans la fonction publique, le pilotage des emplois, des effectifs et des compétences constitue un enjeu stratégique crucial. Les administrations publiques doivent s’atteler à mettre en oeuvre non plus une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) mais une réelle gestion des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC).

Alors que la plupart des administrations publiques peinent à mettre en œuvre une véritable stratégie et démarche GPEEC en raison de nombreuses complexités organisationnelles et techniques², elle apparaît comme un instrument incontournable de pilotage stratégique permettant d’adapter la gestion des ressources humaines aux évolutions à la fois démographiques, structurelles et métiers des administrations.

L’intelligence artificielle (IA) : un levier pour la mise en place d’une GPEEC publique ?

Alors que chaque année, la place de la transformation digitale et de l’innovation numérique est réaffirmée par le gouvernement comme une priorité au service de la modernisation des administrations publiques, les solutions d’IA sont de plus en plus plébiscitées, en témoignent les nombreux appels à projet public intégrant cette dimension.

Considérant que l’une des complexités inhérentes à la mise en œuvre d’une GPEEC publique réside notamment dans le volume de données RH à analyser au sein des administrations, en plus de la multiplicité des référentiels et la prise en compte du cadre statutaire des personnels, l’IA pourrait-elle convertir ce frein en atout majeur ?

En effet, l’IA prouve toute son efficacité dans la quantité d’information disponible pour les analyser, les structurer et les restituer, tout en délestant les acteurs RH des tâches les plus chronophages liées à la constitution des référentiels GPEEC établis (référentiels compétences ou métiers, notamment). Elle favorise ensuite l’alimentation dynamique et réciproque des modules SIRH supports des processus RH, permettant ainsi une connaissance et une analyse plus fine de son existant RH, au profit d’une prise de décision RH stratégique.

3 principaux apports  de l’IA au service d’une GPEEC publique :  

  • La facilitation de la constitution des référentiels métiers et compétences

Le socle sur lequel repose une démarche de GPEEC est le référentiel des compétences, autour duquel s’articulent un ensemble de processus RH. Or, la constitution de ce référentiel est loin d’être une opération simple. Confrontées à une multitude de données (parfois non dématérialisées), les structures publiques peinent à rassembler et synthétiser les connaissances pour avoir une vision claire des ressources à disposition. L’IA apparait comme facilitatrice : grâce à des algorithmes, elle analyse les informations disponibles issues de sources multiples pour opérer de premières catégorisations et structurer de premiers référentiels (métiers, compétences) ou cartographies.

Une fois établis, puis implémentés dans les SIRH, ces référentiels alimentent les processus RH (mobilité, revue des cadres, recrutement, formation, etc …), et inversement, dans une dynamique de réciprocité. L’IA joue également un rôle majeur dans le maintien à jour de ces référentiels de compétences (nouvelles règles en vigueur, actualisation en temps réels), assurant ainsi leur qualité.

 

  • L’amélioration de l’adéquation poste-profil des agents

Grâce à l’automatisation d’un certain nombre d’opérations, l’IA permet d’améliorer le « matching » : quel poste proposer à quel agent en fonction de l’adéquation entre compétences détenues et compétences requises, en fonction de son ancienneté et de ses diplômes. Il s’agit d’avoir une adéquation poste/profil optimale.

Ainsi, l’IA a la capacité de croiser plusieurs variables au-delà des compétences pour proposer les « meilleures » associations possibles aux agents, mais également pour identifier les meilleurs candidats.

  • Le renforcement de la dimension prospective de la GRH publique

L’IA peut accompagner cette vision grâce au croisement de données internes aux SI (effectifs et compétences disponibles, évolutions démographiques, taux de vacance de postes, mobilités à venir etc.) mais également des données externes (recueil de données sur les tendances du marché de l’emploi et l’évolution des métiers, compétences). Identifiant les métiers en forte croissance ou les métiers en tension, une orientation stratégique du recrutement et de la formation peut alors se définir en fonction des compétences disponibles et projetées.

Points d’attention pour une utilisation optimale de l’IA :  

  • Bien identifier les sources de données à exploiter : la complétude des données et leur niveau de fiabilité et d’actualisation sont des éléments essentiels au bon fonctionnement de ce type d’outil. Si le potentiel de l’IA repose sur la masse des données disponibles, il est nécessaire de s’interroger sur leur nature et leur qualité.
  • Penser « dynamique réciproque » : pour exploiter au mieux les potentiels de l’IA, les référentiels établis doivent être alimentés pour conserver une pertinence qui réside dans leur dimension évolutive. La GPEEC vise à anticiper des évolutions pour mieux les accompagner, il ne faut donc pas la figer.

En conclusion, l’utilisation de l’IA dans les structures publiques pourrait faciliter la mise en place de démarche GPEEC. En analysant et synthétisant une multitude de données, elle promet de rationaliser le temps passé à l’exécution de tâches chronophages au profit d’une prise de décision stratégique des RH. Ce type de projet nécessite d’abord d’appréhender l’ensemble des dimensions RH impactées ; puis d’identifier, d’articuler et mettre en cohérence les processus métiers concernés ; et enfin de prendre en compte un ensemble de prérequis techniques et fonctionnels, notamment pour sélectionner la solution d’IA la plus adaptée. Enfin, il est important de considérer l’IA comme un outil RH qui assiste l’humain sur les tâches chronophages induites par la GPEEC, et non en substitution de ce dernier. Réorientés sur les dimensions stratégiques et humaines, les acteurs RH pourraient alors davantage se consacrer à la définition de leur politique RH et à l’accompagnement de proximité de leurs agents.

Article rédigé par :
Bénédicte FERY et Zoé Xolin