La crise sanitaire a conduit les organisations de travail à adapter leur mode de fonctionnement pour assurer la continuité de leurs activités et développer de nouveaux leviers de compétitivité.

Aux prismes de ces adaptations, les publications sur le « futur of work » ont fleuri ces deux dernières années, avec en lame de fond, l’espérance d’un monde du travail transformé, en rupture avec celui d’avant crise. Or, force est de constater que la crise sanitaire n’a pas fait émerger de nouvelles tendances, elle a plutôt permis de révéler plus fortement certaines d’entre elles ou d’accélérer la mise en place de dispositifs jusqu’alors peu étendus (ex : télétravail).

Sans limiter l’analyse de ces inflexions au débat opposant « travail à distance » et « présentiel », il s’agit davantage de questionner le rapport des salariés à l’organisation de travail à l’aune des évolutions sociétales et d’identifier certaines tendances qui semblent se dégager ou s’imposer plus fortement depuis le début de la pandémie. Quelques dynamiques nous semblent ainsi structurantes dans les évolutions vers lesquelles tendent les organisations de travail :

Autonomie et flexibilité, des enjeux forts pour les salariés et les jeunes diplômés

La crise sanitaire a été l’occasion d’interroger le rapport au temps et aux lieux de travail, à travers la mise en place d’un télétravail massif et forcé des salariés parfois difficilement vécu. Elle a aussi été pour un certain nombre d’entre eux l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes de flexibilité dans le travail, renforçant ainsi des aspirations déjà existantes par le passé et largement revendiquées par les nouvelles générations.

L’étude NewGen for Impact de l’EDHEC¹ révèle par exemple que l’un des critères majeurs pour les jeunes diplômés lorsqu’ils considèrent leur entreprise relève de la possibilité de travailler sur des horaires de travail flexibles. « 75% de ses répondants estiment assez ou très importante l’autonomie et la responsabilité totale des missions qui leur sont confiées. Les jeunes talents tiennent donc à être évalués sur leur contribution et non pas sur leur temps de présence ».

L’enquête internationale 2021 Actineo² vient confirmer cette attente auprès des salariés déjà sur le marché du travail. Outre une aspiration à un rythme de télétravail soutenu (entre 2 et 3 jours par semaine), elle révèle un véritable souhait de gagner en autonomie et flexibilité qu’il s’agisse du temps de travail que des lieux de travail (domicile, tiers-lieux, entreprise)³. Les salariés envisagent « une déconnexion croissante entre l’accomplissement du travail et la présence physique dans les locaux de l’entreprise ». Selon une étude OpinionWay pour Microsoft France réalisée en novembre 2021 auprès d’un échantillon de 1045 salariés du privé ⁴ , 65% des salariés de moins de 35 ans déclarent que la flexibilité du lieu de travail est un critère décisif dans leur choix de carrière.

Les résultats de l’étude Steelcase menée en 2016⁵ montrait déjà une très forte corrélation entre l’engagement des salariés et la liberté du choix du lieu de travail en fonction de la tâche à accomplir. Les (futures) organisations de travail sont ainsi envisagées comme davantage flexibles, en continuité avec les expériences vécues lors de la crise et en cohérence avec des aspirations plus larges⁶ en termes de qualité de vie au travail (QVT) et d’autonomie.

La recherche de sens au travail

La crise sanitaire semble avoir particulièrement éprouvée la question du sens au travail. En témoignent les premières données disponibles sur les niveaux de reconversion depuis la pandémie au motif de la crise⁷, et la hausse des demandes enregistrées par les centres de bilan de compétences et les organismes de formation⁸ . Selon une étude réalisée pour le site monster.fr, 55% des Français auraient questionné le sens de leur travail depuis le début de la crise.

La notion de sens emporte plusieurs dimensions, notamment :

  • La conciliation avec la vie personnelle. Le sens du travail apparaît ainsi au service de l’épanouissement personnel. Un mouvement perçu comme une tendance de fond par les DRH⁹ et qui se reflète à travers par exemple la dépriorisation du critère rémunération dans l’enquête BCG au profit de celui de l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle.
  • L’utilité et l’intérêt de l’activité. 61% des répondants de l’étude NewGen considèrent que la passion de leur métier est essentielle au sens conféré à l’activité, de même que le besoin d’avoir une activité considérée comme utile pour les autres. Des résultats cohérents avec l’étude BCG de 2021¹⁰ révélant que 91% d’étudiants et jeunes actifs mettent en avant l’intérêt de leur métier comme critère essentiel dans le choix d’un poste, et que les jeunes actifs seraient prêts à baisser leur rémunération de 12% pour obtenir des emplois porteurs de sens.
  • L’alignement aux valeurs. Rester fidèle à ses valeurs dans le travail est un élément fondamental pour 58% des répondants de l’étude NewGen. Ce résultat vient corroborer celui de l’étude de PWC de 2012 qui indiquait déjà que 56% des jeunes talents envisageaient de quitter un employeur ne partageant pas leurs valeurs. Enfin, selon l’étude OpinionWay pour Microsoft France de 2021, 85% des salariés estiment que la politique RSE portée par leur entreprise est un levier majeur de leur engagement.
  • La vision portée par l’entreprise. Selon l’étude NewGen, la vision stratégique véhiculée par l’entreprise serait vectrice de sens et d’engagement pour 46% des répondants.

Si l’on considère que pour 82% des salariés¹¹, la performance et le sens au travail sont étroitement liés, cette dimension est un enjeu essentiel à considérer en termes RH (attractivité, fidélisation, engagement) au sein des organisations de travail.

Vers une réflexion sur la fonction du bureau

L’expérience de télétravail forcé a conduit à des phénomènes délétères pour nombre de salariés dont on n’évoque plus les effets tant ils ont été relatés dans les médias depuis le début de la pandémie. S’il faut insister sur le fait que cette expérience de travail à domicile ne peut s’apparenter à une expérience de télétravail organisée, accompagnée et choisie, elle a remis au centre des réflexions la question du rôle et de la fonction du bureau.

Alors qu’à certaines périodes il a pu être considéré au seul prisme de ses contraintes et de son exacerbation des mal-être au travail, le bureau est davantage perçu après confinement au travers de sa fonction facilitatrice des relations et des échanges professionnels. S’ils ne sont plus tenus de réaliser (toute) leur activité dans les murs de l’entreprise, la question est effectivement d’envisager ce que les salariés attendent en termes d’usage et de fonction en son sein.

L’enquête Actinéo montre que les attentes des salariés se portent sur les dimensions conviviales et collaboratives. Cela ne signifie pas que le travail individuel ne se réaliserait qu’en dehors du bureau, mais cela recentre la fonction socialisatrice du bureau au cœur des réflexions.

Tout l’enjeu sera demain de créer des espaces de travail adaptés aux différents usages possibles (tant en termes de fonctionnalités que de disponibilité), tout en tenant compte de la variété des lieux de travail possibles¹².

 

Management et collectifs de travail

La crise a contraint les managers à adapter leurs pratiques dans un contexte de travail à distance massif et forcé, avec des modes de fonctionnement souvent hybrides (présentiel et distanciel simultané au sein d’une équipe). Elle a été l’occasion de questionner la capacité à animer les collectifs à distance, à structurer et organiser le travail dans ces conditions et à entretenir la proximité avec leurs équipes. 47% des répondant à l’enquête d’OpinionWay pour Microsoft France estiment que leurs managers n’ont pas su adapter leurs pratiques aux nouveaux modes de travail induits par la crise.

Elle a finalement éprouvé les postures et méthodes managériales en même temps qu’elle a repositionné la notion de confiance au centre de la relation manager-managé. Cette confiance devient la pierre angulaire du fonctionnement des collectifs de travail dans un univers où les salariés aspirent à davantage de flexibilité et d’autonomie dans les choix des lieux et des modes de travail.

Le management n’a plus (et n’aura probablement plus) pour fonction de suivre des indicateurs de production mais de manager par les objectifs et d’incarner la « chefferie d’orchestre » d’un ou plusieurs collectifs de travail, de savoir fédérer les équipes et créer du collectif. L’étude menée par l’EDHEC montre d’ailleurs que pour les jeunes diplômés, l’esprit d’équipe constitue l’un des principaux leviers de fidélisation et que la constitution de cet esprit d’équipe relève de l’action managériale (motiver, écouter, fédérer).

Les compétences dites « soft » des managers seront d’autant plus essentielles dans des organisations de travail davantage structurées en réseau autour de collectifs multiples, au centre desquelles la confiance et la capacité d’animation apparaissent structurantes.

Pour répondre aux attentes des salariés d’aujourd’hui et de demain, les organisations de travail vont devoir innover en matière de flexibilité et accompagner le développement des pratiques de travail et de management en cohérence avec ces nouveaux modes de fonctionnement. Il n’existe pas de modèle unique de flexibilité. Chaque entreprise a un contexte, une culture, des métiers, des contraintes différentes qui impliquent des organisations de travail flexibles adaptées à ses caractéristiques et spécificités.

Pour attirer, fidéliser et engager les salariés, elles devront être en capacité de proposer des organisations hybrides, permettant à chacun de prendre part aux ambitions portées, de s’en approprier le sens et la finalité, et d’offrir un cadre adapté aux enjeux de qualité de vie au travail qui deviennent de plus en plus prégnants (articulation vie professionnel-personnelle, autonomie, valeurs, environnement de travail, etc.).

Ces évolutions impliquent des transformations RH parfois complexes en termes fonctionnels, techniques et humains qu’il convient d’accompagner avec une expertise pointue des sujets de transformation organisationnelle.

Article rédigé par :
Bénédicte FERY

 

Sources :

¹ : https://careers.edhec.edu/sites/careers/files/images/newgen_for_impact_septembre_2020_final.pdf 

² : https://www.actineo.fr/article/enquete-internationale-actineo-2021 

³ : Notons sur ce point l’accélération d’un mouvement d’exode urbain selon J. Viard directeur de recherche au CEVIPOF. Si la crise n’a pas fait émerger cette tendance déjà en cours depuis 20 ou 30 ans, elle a contribué à accélérer un mouvement de fond en ayant rendu davantage possible et acceptable la distinction entre le fait de réaliser une activité et son lieu de réalisation

⁴ : https://news.microsoft.com/fr-fr/2022/01/11/la-fidelite-a-son-entreprise-ce-capital-qui-sepuise/

⁵ : Rapport d’étude internationale steelcase | l’engagement et l’espace de travail dans le monde, 2016

⁶ : A noter que l’enquête Actinéo témoigne d’une autre évolution préfigurée par les salariés et qui concerne les modalités de travail – ou sa forme. « Le fait de travailler pour plusieurs employeurs à la fois ou de combiner travail salarié et freelance pourrait devenir plus fréquent ». Une considération qui rejoint également les résultats de l’étude réalisée par Ipsos en 2017 pour Revolution@work qui indiquait déjà que 64% des jeunes travailleurs issus de la génération Z envisageaient que le futur du travail serait d’exercer plusieurs activités en même temps.

⁷ : Sondage BVA réalisé pour l’organisme de formation Visiplus Academy, juin 2020

⁸ : Sondage BVA réalisé pour les organismes Lingueo et Unow, novembre 2020

⁹ : Voir sur ce sujet l’article de Franceinfo du 7/01/2022″Travailler moins pour vivre mieux » : qui sont ces jeunes qui prônent le « détravail » ?

¹⁰ : Génération Covid

¹¹ : Sens au travail ou sens interdit ? Pour s’interroger enfin sur le travail. Deloitte, décembre 2017

¹² : A noter que sur la question des aménagements, la crise semble avoir fait évoluer les attentes des salariés puisque près de 90% des salariés interrogés dans le cadre de l’enquête Actinéo souhaiteraient disposer de postes de travail attribué et 50% d’entre eux dans un bureau fermé. Elle révèle par ailleurs le souhait des salariés de vivre, dans les locaux de leur entreprise demain, une véritable « expérience employée » à travers un décor qui ait du sens et qui soit évolutif.