Réduire sa facture énergétique : le Lean au secours de l’Industrie !

22 novembre 2022

Les crises climatique et sanitaire, les pénuries de matériaux et de composants, l’augmentation du prix des énergies, etc. bousculent les certitudes, forcent à adapter rapidement les offres à des consommateurs déroutés et à revoir complètement les stratégies de Sourcing. La pression sur les entreprises industrielles énergivores devient insupportable et les oblige à identifier en urgence des parades avec des prix de marchés du gaz et de l’électricité 10 fois supérieurs en 2023 à ceux de 2020 !

Dans ce contexte, quels sont les processus et leviers organisationnels à mettre en œuvre rapidement pour accroître les performances opérationnelles de l’entreprise et ainsi garantir sa pérennité ?

Nous proposons une approche méthodologique, des solutions concrètes en s’appuyant sur le modèle d’intégration « Lean Green » déjà développé pour l’efficience matière¹. Le concept des 4R (Reconcevoir, Réduire, Réutiliser, Recycler) est en effet transposable pour aborder tout plan de réduction des coûts énergétiques. L’efficacité énergétique passe alors par la Reconception des processus, des modes de travail, la Réduction à la source de toute forme de consommation, la Récupération énergétiques par des solutions technologiques adaptés, et par le Remplacement d’énergies fossiles par des énergies renouvelables.

Le principe des 4R pour conduire l’analyse et la recherche des solutions

Reconcevoir sa consommation énergétique

Pour aborder un plan d’économie, il est essentiel d’envisager tout d’abord des solutions de rupture dans une logique de Reconception. Repenser sa stratégie d’achats d’énergie est avant tout une priorité. En développant une meilleure connaissance du fonctionnement des marchés, des offres proposées, des mécanismes réglementaires, des modalités de construction des prix par les fournisseurs, chaque entreprise peut faire des économies substantielles. Et en s’adossant les services d’une entreprise comme Energy Pool, leader mondial de la modulation de consommation d’électricité, toute industrie peut construire une flexibilité de consommation c’est-à-dire une capacité à réduire sa demande d’électricité lors des pointes de consommation (par exemple lors d’une vague de froid) et à l’inverse d’absorber les excédents de production en période de faible demande. Ainsi, l’entreprise participant à l’équilibrage du système électrique réalise des économies en consommant l’électricité lorsqu’elle est la moins chère, et génère de nouveaux revenus en bénéficiant d’une rémunération en contrepartie d’une puissance électrique flexible qu’elle met à disposition du réseau.

Dans le prolongement, il est alors incontournable que les entreprises revoient leurs processus pour développer leur « hyperflexibilité ». Le Lean management peut alors les y aider car le développement de l’agilité est l’un de ses buts par essence même. Il faut toutefois moduler certaines pratiques. En tout premier lieu, la construction d’une cartographie des processus de type VSM (Value Stream Mapping) ciblée sur la « consommation énergétique » (et non sur les données classiques liées à l’accélération du flux de matière) permet de révéler les équipements critiques en termes de consommation, en distinguant les KWH à Valeur Ajoutée (temps d’utilisation pour transformer le produit dans un four de traitement thermique au sein d’une usine de fabrication de tubes ou un four de cuisson dans une fabrique alimentaire, par exemple) et les KWH à NVA (temps d’attente, start/stop excessifs et gourmand en énergie).
L’équipement « énergivore » devient alors le Pacemaker (procédé cadenceur) c’est-à-dire la ressource qui conditionne l’ordonnancement du processus.

Le service planification doit tout faire pour charger à plein chaque « fournée » et ainsi faire des économies par un changement radical de son mode de pilotage. De plus, le service planification intègre un nouveau paramètre, les données de prévisions météorologiques sur l’horizon de la semaine par exemple pour ajuster ses programmes de fabrication. En second lieu, l’entreprise doit revoir sa politique de gestion des stocks pour être en mesure d’arrêter ponctuellement sa production sans mettre à mal la livraison des clients. Les règles de sécurisation sont alors revues pour tenir compte non seulement des aléas subis (panne, rupture d’approvisionnement, etc.) mais également des paramètres de modulation de sa demande énergétique. Même si les puristes du Lean considèrent le stock comme un « gaspillage » (l’un des fameux 7 « muda ») ; les stocks de produits finis, les stocks de « découplage » pilotés au plus serré de manière visuelle comme la méthode « DDMRP » (Demand Driven Material Requirements Planning) le recommande et le structure, sont aussi clés pour réussir la modulation énergétique visée. Par ailleurs, dans un contexte de périodes de travail irrégulières, l’entreprise doit revoir les organisations d’équipes, les contrats de travail, pour y intégrer des conditions de flexibilité dans un schéma « gagnant / gagnant » afin de pouvoir ajuster le temps d’ouverture de l’usine selon le niveau de consommation de l’ensemble du réseau national.

Réduire à la source les consommations en supprimant toute forme de gaspillage

En premier lieu, l’entreprise industrielle doit optimiser l’efficience des équipements et l’efficience matière. Ainsi pour une même demande client, le temps d’ouverture des équipements peut alors être réduit, pour un impact direct sur la facture énergétique, en complément de l’économie des heures de main d’œuvre bien sûr. L’efficience des équipements ne se concentre pas uniquement sur les goulots d’étranglement comme le recommande la fameuse Théorie des Contraintes de Eliyahu M. Goldratt, mais aussi sur les équipements « énergivores ». Alors l’exploitation fine du Taux de Rendement Global de ces équipements induit des actions pour réduire toute forme d’arrêt non souhaités (pannes, réglages, changement de format, contrôle qualité, nettoyage, manque matière) et réduire aussi les arrêts planifiés (les pauses peuvent être prises en décalé pour éviter un arrêt de ligne de fabrication par exemple). Par ailleurs, il est essentiel d’extrapoler l’application de la fameuse méthode « SMED » pour réduire non seulement les temps de changement de fabrication mais aussi les temps d’arrêts de redémarrage de ligne de fabrication sans pénaliser la productivité, l’efficience matière et se mettre dans l’optique d’intégrer les décisions de modulations de fonctionnement de l’usine durant les pointes de consommation énergétiques. Globalement, pour réduire tout forme de surconsommation, il est utile de rappeler les 7 fameux « Mudas » du Lean (surproduction, surprocess/opération inutile, mouvement inutile, non qualité, transport, stockage, attente) et de viser des actions de chasse à la non-valeur spécifiques à la consommation énergétique.

La surproduction est la hantise du Lean Leader. Dans l’esprit du juste à temps, il est fondamental de ne produire que ce que le client a demandé. Dans le prolongement, les opérations inutiles doivent être traquées, le « surprocess » en particulier fait l’objet de toutes les attentions. Les paramètres process impactant la consommation énergétique sont alors revues (température de chauffe, pression, etc.) et affinées grâce à l’application du 6 Sigma (plan d’expérience, carte de contrôle sur les paramètres influent). La non-qualité s’en trouve améliorée. Quant au « muda des transports », la fréquence des tournées d’approvisionnement externes (dans le cadre du Milkman system) peut être adaptée pour réduire les kilomètres parcourus et pour augmenter le taux de chargement.

Dans un autre registre, il est important d’ouvrir un plan de progrès pour la fonction de la Maintenance. Des actions simples engageantes sont possibles. L’analyse des fuites suivie d’une analyse causale permet de cibler des actions de progrès de réduction des consommations d’air par exemple ; des opportunités de suppression de « circuits morts » et d’équipements inutiles peuvent être révélées. La maintenance doit faire la chasse à toute forme de déperdition de chaleur (isolants détériorés par exemple), réviser ses plans de maintenance préventive en intégrant des mesures préventives qui permettent de consommer l’énergie au juste nécessaire (contrôle des isolations, des purgeurs, relevés thermographiques pour identifier les ponts thermiques et les fuites, etc.) et adopter plus globalement des nouvelles pratiques de maintenance prédictives associant les technologies du numérique pour optimiser le rendement des matériels.

Et bien sûr en complément, en faisant une veille permanente, en s’adossant à des experts réseau, le service maintenance intègre les technologies « smart grids » combinant le numérique au réseau électrique, pour faire régulièrement des gains de performance. De plus, pour réduire la consommation, il est essentiel aussi de travailler sur les comportements, de sensibiliser, de définir les bonnes pratiques et d’adopter le principe de l’éco-responsabilisation. Les opportunités sont multiples : le respect de paramètres process clés (une température de chauffe par exemple) et l’adoption de consignes de bon sens (mettre en veille une machine lors d’une pause par exemple). Également les rituels de management et de résolutions de problèmes peuvent intégrer une dimension environnementale dans le cadre d’un management équilibré « S.Q.D.C.M.E » pour décider régulièrement d’actions de progrès locales. Les plus motivés peuvent aussi contribuer à des chantiers de progrès impactant la réduction de consommation d’énergies (électricité, gaz, air). Et par équipe, un leader « environnement », en soutien du manager, peut même être investi de missions au service du collectif. Alors, l’entreprise, ajustant sa raison d’être en intégrant un volet sur le respect de la planète, est davantage porteuse de sens ; c’est une opportunité de renforcer la motivation des salariés car chacun se sent utile à la société civile.

Récupérer, Réutiliser et Remplacer

Les dernières étapes du modèle d’intégration « Lean Green » centré sur l’efficacité énergétique sont abordés plus rapidement car ils sont davantage liés à des solutions technologiques, et non pas vraiment au Lean Management. Pour l’étape centrée sur la Récupération ou la Réutilisation, il s’agit de partir d’un « bilan énergie » qui définit les besoins et les pertes d’énergie pour établir les projets potentiels qui permettraient de récupérer les pertes afin de répondre aux besoins d’autres installations. Les dépenses en équipement concernent principalement des échangeurs de chaleur (échangeurs à plaques, roues thermiques, etc.). Ces actions locales au niveau d’un site industriel peuvent même être étendues à l’échelle d’une zone industrielle, dans le cadre d’un programme d’écologie industrielle (chauffe d’une piscine municipale par exemple). L’ultime étape du modèle 4R est le Remplacement. Une fois que la demande en énergie a été réduite à la source et que les possibilités de récupération d’énergie ont été épuisées, le remplacement peut être considéré. Il peut s’agir d’un remplacement d’équipement ou de l’énergie traditionnelle par des énergies renouvelables. Les dépenses en équipement sont principalement faites pour remplacer des équipements inefficaces ou des équipements en fin de vie. 

En synthèse, le Lean Management peut donc se mettre au service des plans de réduction des coûts énergétiques et générer des gains rapides. Le centrage sur l’efficacité énergétique est spécifique et induit non pas une copie mais une transposition des méthodes d’accélération des flux de matière propres aux plans de progrès classiques de l’Excellence Opérationnelle (mesure des non-valeurs ajoutées, suppression des gaspillages, etc.). Le point de départ est la mise en mouvement de toute l’entreprise. La vision de la Direction est partagée au plus tôt. A partir du cap fixé, les objectifs et indicateurs déclinés de manière cohérente dans toute l’entreprise selon les principes du « Hoshin Kanri » sont connus du plus grand nombre, pour obtenir un réel engagement de toute l’organisation. Dans le prolongement, des projets pilotes opérationnels doivent démontrer des premiers résultats rapidement pour devenir de véritables catalyseurs insufflant l’envie de démultiplier. Il est fondamental de respecter l’ordre des étapes du modèle 4R car elles répondent à un plan de progrès hiérarchisé selon l’impact et la facilité de mise en œuvre. La reconception des processus peut réduire drastiquement les factures énergétiques à délai court.

La réduction des demandes de consommations engendre des chantiers de progrès dont les impacts peuvent se mesurer sur un horizon de 3 à 6 mois. Il est à noter que les deux dernières phases à savoir la Récupération énergétiques par des solutions technologiques adaptés et le Remplacement d’énergies fossiles par des énergies renouvelables (qui ne sont pas connectées au Lean Management) demandent des investissements conséquents. Il n’est pas certain que leur pay-back à moins d’un an soit garanti. Par conséquent, la mise en œuvre des pratiques du Lean centrées sur l’efficacité énergétiques doit être privilégiée. Grâce à l’adoption de qu’il devient maintenant commun d’appeler l’intégration « Lean Green ». En effet, toute entreprise industrielle peut restaurer ses marges, retrouver une compétitivité durable pour mieux affronter les défis du moment et ainsi se démarquer par rapport aux concurrents. Alors voyons ce contexte anxiogène comme une opportunité de mettre toute l’entreprise en mouvement au service d’une grande cause : assurer la pérennité de l’entreprise tout en préservant les ressources de la planète.

¹ Thèse doctorale d’Alain FERCOQ « intégration Lean Green appliquée au management des déchets, pour une performance équilibrée (économique, environnementale, sociale)

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