Alors que nous anticipions un léger ralentissement du développement de la filière du biogaz (les objectifs cibles de la PPE[1] 2016 ont été revus à la baisse en 2020), la saisie de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) le 30 mars dernier témoigne de la volonté de réduire notre dépendance vis-à-vis du gaz Russe et replace le gaz « made in France » comme l’une des alternatives privilégiées.

En effet, l’enjeu n’est plus seulement de rendre le biométhane économiquement plus compétitif face au gaz naturel mais d’en faire un atout pour renforcer durablement notre souveraineté énergétique. Pour cela, il semble essentiel que la filière soit portée par une véritable volonté politique, soucieuse de répondre à des défis sociétaux, politiques et environnementaux.

Comment répondre à ces nouveaux enjeux de compétitivité et de souveraineté ? Quels sont les leviers d’action des acteurs publics et privés ?

Le levier politique : l’appui des pouvoirs publics à la filière biogaz

La prise de conscience politique sur l’urgence de l’indépendance énergétique française et le rôle que peut jouer la filière biogaz est essentielle pour promouvoir et soutenir son développement. A contrario, des dispositions qui lui seraient défavorables pourraient conduire au ralentissement voir à l’arrêt de la filière. 

Bien qu’un scénario « tout biogaz » ne soit pas envisageable en France car il nécessiterait le recours à des cultures dédiées (comme celle du maïs en Allemagne), le cap fixé par les pouvoirs publics devrait probablement évoluer dans les prochaines semaines pour être à la hauteur des enjeux de transition énergétique et de souveraineté auxquels nous devons faire face (les objectifs de la PPE fixent une part du gaz renouvelable dans la consommation totale de gaz en France d’au moins 7% d’ici 2030 [2]).

Si les objectifs fixés par la PPE sont revus à la hausse, plusieurs actions devront être mises en place par les pouvoir publics pour soutenir les acteurs de la filière dans l’atteinte de ces derniers :

  • Tout d’abord, un soutien public plus fort en faveur de la production de gaz vert [3] pourrait être concrétisé au travers de nouvelles politiques de gestion des déchets ou de la prise en compte des externalités positives (création d’emplois non délocalisables sur les exploitations) du biogaz dans les futures politiques énergétiques.
  • Ensuite, une clarification de la règlementation applicable au biogaz permettrait de faciliter le développement des projets de méthanisation, souvent freinés par les lourdeurs administratives. Il pourrait s’agir par exemple d’un raccourcissement des délais d’obtentions du permis de construire ou de traitement des demandes ICPE (Installations Classées Protection de l’Environnement).
  • Parallèlement à ces mesures, l’apport de moyens financiers et humains aux services de l’Etat en charge d’instruire les dossiers et d’accompagner les producteurs dans la préparation et la mise en œuvre de structures de méthanisation faciliterait le développement des nombreux projets en attente d’instruction.
  • Enfin, une fixation de règles favorables à l’achat de Biogaz (cela est déjà le cas aujourd’hui) et l’apport de visibilité à long terme sur son prix de vente (ou le partage d’un calendrier sur les probabilités d’évolution des mécanismes de soutien) permettrait de rassurer les potentiels investisseurs et producteurs quant à la rentabilité de la mise en œuvre d’une telle infrastructure.

Par ailleurs, l’accélération du développement des installations de production de « gaz vert » doit être particulièrement encadrée pour continuer à répondre à son objectif premier qui est l’accompagnement à la transition énergétique. Il s’agit pour les pouvoirs publics de s’assurer que les installations mises en place ne nuisent pas à l’environnement en définissant des règles claires et en s’assurant de leur respect par le biais de contrôles réguliers. Pour exemple, ces mesures doivent permettre d’éviter les risques de pollution des sous-sols et nappes phréatiques par le digestat et de s’assurer du caractère secondaire des cultures intermédiaires à valeur énergétique.

Le levier technico-économique : la structuration de la filière

Portée par les pouvoirs publics, la filière du biogaz doit également mettre en œuvre des plans d’action qui permettront de favoriser l’augmentation de la production, de réduire les coûts et d’optimiser le financement des installations.

La production de Biogaz coûte aujourd’hui entre 80 et 100 € du MWh (coût du gaz naturel = 25 euros). L’objectif pour 2030 est de passer à 60 € / MWh, soit une baisse de 25 à 40% en 8 ans. Pour réussir à faire baisser les coûts, plusieurs leviers peuvent être actionnés par les acteurs de la filière :

Pour les producteurs :

  • Améliorer la qualité des intrants (déchets verts agricoles, de collectivité ou ménagers) en implantant des CIVE [4] entre les cultures principales et en favorisant certains mélanges, en améliorant la gestion du stockage (un stockage long fait perdre de la capacité de méthanisation) ou en optimisant les prétraitements. 

Source : Methasim 2010

  • Optimiser les installations en investissant par exemple dans des équipements de qualité permettant de réduire les pertes liées à l’isolation des digesteurs ou en optimisant la performance des postes d’injections.

Pour les autres acteurs de la filière (fédérations professionnelles, gestionnaires de réseaux, équipementiers & fabricants, etc.) :

  • Financer la recherche pour favoriser l’innovation produit
  • Permettre à la filière de continuer son développement sur l’ensemble du circuit (méthanisation, épuration, stockage, injection) notamment en :
    • Standardisant les installations en proposant des équipements aux caractéristiques identiques pour des besoins homogènes en matière de type/volume de production afin de réaliser des économies d’échelle et de réduire les délais de construction et de raccordement des installations aux sites d’injection.
    • Proposant des solutions toujours plus innovantes pour accroitre les externalités positives et limiter les éventuels impacts résiduels tout en développant les savoir-faire français exportables à l’étranger.

Une baisse de coûts, couplée à une standardisation des installations permettra à la fois d’augmenter la maitrise des risques et la rentabilité. Cela aura pour effet de rassurer les banques et ainsi de faciliter les levées de fonds qui sont pour l’instant freinées par les exigences élevées en termes de critère de financement.

Dans un contexte politique et social favorable et à travers la mise en place de cycles vertueux dans la production d’énergies renouvelables, il existe un fort potentiel de développement pour la filière biogaz (GRDF vise un verdissement des réseaux à 100% d’ici 2050).

Dans un contexte favorable de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles importées (gaz Russe notamment), la balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics et de la filière biogaz pour relever le défi.

Article rédigé par : Alice HOCQUEL & Jérôme ATTOLINI

 

[1] PPE : Programmation Pluriannuelle de l’Energie

[2] https://www.bioenergie-promotion.fr/wp-content/uploads/2020/05/2020-05-13_siapartners_observatoire_france_biomethane.pdf

[3] Pour mieux comprendre la différence entre gaz vert, biogaz et biométhane : https://www.grdf.fr/particuliers/choisir-gaz/definitions-biogaz-biomethane

[4] Culture Intermédiaire à Vocation Energétique