De la Chine à l’Europe : quand la perturbation se propage

La Chine, le début de la perturbation des Supply Chain

Après le démarrage de la crise du COVID-19 au début du mois de janvier 2020, la Chine a significativement baissé son activité commerciale et industrielle. En parallèle, de nombreuses villes ont été mises en confinement pendant plusieurs semaines forçant les magasins non-alimentaires à fermer temporairement. Pour le mois de février, l’indicateur PMI[1] qui reflète la conjoncture économique manufacturière de la Chine était à son niveau le plus bas depuis sa création : 35,7 en février 2020 contre 50 le mois précédent. Les chaînes logistiques ont assisté à la fois à une chute progressive de l’offre industrielle, à une perturbation des approvisionnements et à un arrêt presque total de la consommation dans certains secteurs.

Ce double phénomène a rapidement eu un impact important sur les Supply Chain en Europe. En effet, la Chine est à la fois le principal fournisseur de produits finis et semi-finis mais représente également un vivier important de consommateurs, comme dans les secteurs du luxe, du high-tech ou encore de l’automobile. Ainsi, par exemple, le géant de l’automobile Volkswagen a vu son chiffre d’affaires mondial baisser de 24,6% depuis début 2020 (74% de baisse des ventes en février en Chine).

La crise du COVID-19 a ainsi provoqué, d’une part, une baisse de la demande des consommateurs, fortement en deçà de la prévision, et d’autre part des approvisionnements de produits venant de Chine vers l’Europe moins fluides.

Lorsque de telles perturbations surviennent dans les Supply Chain, il existe un fort risque d’observer des répercussions croissantes à mesure qu’on remonte la chaîne d’approvisionnement. Chaque maillon de la chaîne se couvre un peu plus, à la baisse ou à la hausse, créant un phénomène d’amplification qu’on appelle Effet « Bullwhip » ou effet « coup de fouet ».

Lors du début de la crise chinoise, les premières entreprises impactées en Europe ont été celles avec des chaînes d’approvisionnements très internationales.

La suite des perturbations des Supply Chain avec le confinement européen puis américain

La crise ne s’est pas arrêtée au continent asiatique. Depuis début mars, l’Europe est elle aussi contrainte de diminuer son activité à cause de la propagation du virus, d’abord en Italie puis aujourd’hui dans toute l’Europe.

À la suite de la première annonce du confinement en France, les ventes de certains biens de consommation ont bondi. D’après une étude du cabinet Nielsen, les ventes de certains produits (pâtes, riz, sucre, papier toilette) ont augmenté de 174% le vendredi 13 mars par rapport aux vendredis précédents. Et le secteur de biens de grande consommation n’a pas été le seul impacté, le groupe Fnac Darty annonçant avoir vu ses ventes d’équipements high-tech (consoles, ordinateurs) multipliées par 4 par rapport à mars 2019.

A leur tour, les Supply Chain en Europe, même les plus localisées, ont été affectées soit par une augmentation brutale de la consommation, soit par un arrêt de la demande suite à la fermeture des magasins de biens non essentiels.

Une sortie de la crise lente et ardue

Depuis mi-mars, la Chine a relancé son activité et ses usines tournent désormais quasiment à 100% de leur capacité. De leurs côtés, les ports chinois et asiatiques de manière générale, reviennent également à un fonctionnement normal et assure la reprise des approvisionnements vers les autres continents. Néanmoins, les volumes d’avant la crise ne sont toujours pas atteints, notamment à cause de la chute de la demande en Europe et en Amérique de Nord.

Cependant, à la reprise de l’activité en Europe, les Supply Chain devront faire face à plusieurs autres perturbations :

  • Risque de fort engorgement des ports à la reprise des activités et de retard important dans les livraisons : la Chine a recommencé les liaisons maritimes avec les ports européens mais ces derniers tournent au ralenti
  • Risque de volumes de commandes surdimensionnées et de ruptures dû à une mauvaise vision des commandes en cours de production, d’acheminement et des reliquats tout au long de la chaîne logistique. Cela ne fera qu’accentuer l’effet « Bullwhip »
  • La demande de certaines Supply Chain internationales sera encore très affectée par la crise sur les autres continents. Même si la crise du COVID-19 s’atténue en Europe, d’autres continents seront toujours très touchés par le virus dans les semaines qui viennent. Par exemple, la situation américaine risque d’amplifier les perturbations dans les chaînes logistiques car le pays est un grand consommateur des secteurs du luxe, de la cosmétique et de certaines filières agro-alimentaires ; mais aussi un important producteur et consommateur de médicaments

A la sortie du confinement en Europe, pour certains secteurs la demande sera difficile à anticiper et les entreprises resteront dans une phase où la prévision des ventes sera peu fiable.

Les Supply Chain les plus localisées seront moins durablement perturbées que les Supply Chain internationales, qui sont affectées depuis le début de la crise chinoise et qui le seront jusqu’à la sortie de crise sur tous les continents où sont implantées leurs chaînes logistiques.

La gestion de la crise ouvre des opportunités sur le pilotage des Supply Chain

Pour faire face aux perturbations dans leur Supply Chain, les entreprises mettent en place des cellules de gestion de crise. Les actions mises en œuvre sont multiples :

  • Donner de la visibilité à ses clients et prioriser avec eux les besoins en connaissant leurs niveaux de stocks
  • Avoir la visibilité sur les commandes en cours en établissant un dialogue privilégié avec ses fournisseurs principaux
  • Réduire son cycle de prévision des ventes et de planification car les données d’entrée évoluent et nécessitent d’être actualisées en boucle courte. Il serait alors intéressant de pouvoir anticiper la courbe de la demande en observant d’autres pays qui sortiront de la crise avant la France.
  • Revenir à des processus S&OP[2] plus manuels en privilégiant un raisonnement globalement juste à la famille de produits et non au SKU[3]. Comme tous les processus automatiques faits par les systèmes de planification se basent uniquement sur le passé et excluent les valeurs extrêmes, il faut privilégier une analyse hors de l’ERP sur des outils comme Excel

D’ailleurs, les entreprises qui ont installé la récente méthodologie DDMRP[4] pour gérer leur processus de planification et de gestion des stocks supporteront probablement mieux la crise. En effet, le DDMRP permet de tirer les flux pour mieux aligner les stocks et la planification avec la demande du marché. Cette méthode rend ainsi le système plus robuste face aux variations en comparaison à un système de planification classique.

De manière globale, il s’agit de gagner rapidement en transparence et en visibilité tout au long de la Supply Chain en travaillant avec ses partenaires privilégiés, voire de remonter la chaine de valeur jusqu’aux fournisseurs de rang 3 pour sécuriser un pilotage transparent et synchrone des actions.


La crise actuelle est l’occasion de capitaliser sur certaines solutions mises en oeuvre dans les Supply Chain ce qui serait une opportunité pour les stratégies moyen terme et long terme des entreprises.

A travers toutes les actions court terme citées, c’est l’occasion de tester de nouveaux modes de pilotage de la Supply Chain. Que ce soit pour gagner en visibilité, mieux échanger l’information, ou pour réduire l’horizon du cycle de prévision, ces actions ont un bon impact sur la Supply Chain de manière générale. Ces mesures rendent possible la mitigation de la crise actuelle qui, si elles étaient implémentées de manière durable, offriraient une meilleure performance et une meilleure résilience à long terme pour les Supply Chain.

[1] L’indice PMI (Manufacturing Purchasing Managers Index) est diffusé par la Fédération chinoise de la logistique et des achats (CFLP) et calculé grâce à des informations recueillies par le Bureau National des Statistiques chinois. Cet indicateur reflète la conjoncture économique manufacturière du pays, en tenant compte des prix, des nouvelles commandes et de l’emploi.

[2] S&OP désigne « Sales and Operations Planning » en anglais. L’équivalent Français est le PIC « Plan Industriel et Commercial ».

[3] Stock-keeping unit en anglais ou Unité de gestion des stocks

[4] DDMRP : Demand Driven Material Replenishment Planning est une méthodologie de flux tiré multi-niveaux pour la planification et la gestion de stock – https://www.demanddriveninstitute.com/ddmrp